Le thème des sorcières est de nouveau un sujet de polémiques et même un sujet politique. Certains semblent prêts pour une nouvelle chasse aux sorcières.
Au cœur de ce sujet, plus ou moins dissimulé, se trouve toujours la question de la liberté des femmes que les religions, quelles qu’elles soient, cherchent toujours à contrôler.
L’ouvrage de Michael Streeter est bienvenu dans ce paysage confus pour se rappeler d’où vient cette permanence de la sorcière. Magie populaire, magie naturelle… la sorcellerie connaît maintes définitions, toutes connotées. L’instrumentalisation de la figue de la « sorcière » par l’Eglise catholique au Moyen Âge, l’associe au diable avec une fonction de bouc émissaire semblable à celle du « juif », ce qui entraînera d’horribles drames en Europe et au-delà. Le renouveau de la sorcellerie, puisant dans des traditions préchrétiennes se heurte aux préjugés tenaces inscrits dans la culture chrétienne chez les croyants comme les non-croyants. Entre réalités historiques et traditions reconstituées, la sorcellerie moderne s’appuie sur la notion de Déesse-Mère qui absorbe des déesses puissantes, comme l’Hécate grecque, aussi bien que des déesses très locales. Les traditions grecques présentent bien des figures féminines qui font écho à nos concepts modernes de sorcière. Mais les traditions romaines comme celtes sont tout autant habilitées à nourrir cette figure qui sait si bien traverser les temps malgré les hostilités sans cesse renouvelées déclarées à son encontre. L’héritage traditionnel du monde antique a fortement souffert de l’agressivité des religions monothéistes.
« La pratique de la sorcellerie faisait partie des sociétés du monde antique, écrit Michael Streeter, la magie a évolué séparément de la religion, mais dans certaines cultures, notamment égyptienne et grecque, elle est devenue une importante expression de la théologie. La morale antique n’a pas toujours fait la distinction entre le connu et l’inconnu, entre la science et les croyances. La nature, les humains, les dieux et la magie étaient tous liés.
L’éventail parfois déconcertant de divinités qui peuplaient le monde antique était l’un des aspects les plus fascinants de ces sociétés. Isis, Hécate, Diane, Freya, Cernunnos – toutes ces divinités jouent un rôle dans la vie des individus. Mais lorsque les sociétés antiques se sont effondrées, il en a été de même pour les armées de dieux, devenues la proie des religions monothéistes plus organisées et centralisées. Dans un monde où il n’y a qu’un seul vrai Dieu et un ensemble codifié de croyances, la pratique de la magie a du mal à s’épanouir. »
Dans le monde médiéval, le christianisme a forgé dans le sang une image négative de la sorcière et de la femme, qui a culminé dans l’action de la Sainte Inquisition et des pouvoirs politiques complices de l’époque.
La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à la sorcellerie moderne qui prend naissance sur les restes des dernières chasses aux sorcières, la plus connue étant celle, dramatique, de Salem. Cependant cette transition fut longue, accompagnant plus ou moins l’émergence d’une pensée rationnelle et scientifique. L’auteur s’étend longuement sur la naissance et l’influence culturelle de la Wicca, traite de l’association de la sorcellerie moderne avec le féminisme, et du respect sorcier de la nature.
La sorcellerie moderne est très libertaire, ce qui exige une éthique. Le rapport que nous entretenons avec nos sorcières nous renseigne sur la liberté que nos sociétés accordent aux femmes et, à travers elles, à tous celles, tous ceux, qui ne s’inscrivent pas dans les normes du modèle social et politique dominant.
Ce livre superbe, en couverture cartonné offre une série d’illustrations anciennes très belles, en rouge et noir.
Source: La Lettre du Crocodile