La littérature est à la fois politique, philosophique et métaphysique. En traquant le Réel dans de multiples voyages au sein de l’intime comme de l’altérité, Valère Staraselski, auteur s’il en est, met à nu, encore et encore, les jeux de la psyché et les interactions humaines conditionnées.
« Tentative sans cesse recommencée de dire la vérité », la littérature se révèle à la fois un art et un medium capable d’explorer les mondes cachés de l’être.
Que cela soit dans le drame ou le plaisir, dans ces nouvelles très différentes mais qui portent une belle unité, l’écriture se fait à la fois miroir et scalpel. Elle renvoie l’horreur comme la beauté dans des reflets tenaces pour aussi les disséquer, pas systématiquement, il convient de laisser la place au rêve et au mystère qui d’ailleurs ne cesse de se dérober.
Parfois, c’est l’humour grinçant et implacable du quotidien qui l’emporte mais l’amour et la liberté demeurent sous les malversations et les maltraitances de la vie. Il y a les rencontres, véritables célébrations amoureuses, ou revers toxiques exemplaires, ballotées par les accélérations subites du temps ou figées dans la réplication des conditionnements. Les mots servent moins à dire qu’à souligner, peindre, sculpter les sentiments, les émotions, les gestes…
Le lecteur se reconnaît aisément dans les protagonistes des aventures humaines que ces nouvelles mettent en perspective, à la fois banales et uniques.
Au fil des vies qui s’offrent dans les pages de ce livre, la question du destin et du choix finit par devenir évidente. Qu’actualisons-nous, consciemment ou inconsciemment, d’instant en instant, pour basculer du côté de la servitude ou au contraire de la liberté ? Valère Staraselsky peut inviter Spinoza à nous interroger mais, le plus souvent, il laisse les faits eux-mêmes nous pousser dans nos retranchements. Continuons-nous de nous mentir ou nous lançons-nous sur les chemins de traverse, moins fréquentés certes mais riches de possibilités insoupçonnées ? La littérature est ici une incitation à « vivre intensément » ce qui se présente, malgré les obstacles multiples.
Le lecteur qui veut s’affranchir, se réaliser, faire de sa vie une œuvre, est tel Michel-Ange : « Le privilège de l’artiste repose intrinsèquement sur des devoirs ! Clama presque l’écrivain. Pour Michel-Ange, il s’agit, en fait, je crois, de supériorité, continua-t-il. Une supériorité ou un accomplissement, si vous préférez, basé sur la volonté et acquis par le travail et le choix de Michel Ange, dès le départ, de ne pas suivre le style raffiné des artistes de son temps. Car là commencent à se créer les conditions de sa singularité, il s’est en effet tourné vers la tradition monumentale de l’art toscan : Giotto et Masaccio, artistes qui vécurent bien avant lui ! Artistes chez lesquels il avait trouvé grandeur et dignité exprimées dans des formes simples.
Croyez m’en, Michel-Ange ne bénéficia pas que d’avantages, il eut, tout Michel-Ange qu’il était, à supporter de sérieux inconvénients, à subir bien des avanies qui pouvaient à chaque instant le faire choir de sa situation. Et je dis bien à chaque instant ! »
Les personnages de Valère Staraselski, souvent en quête éthique d’authenticité, sont ainsi, artistes maladroits et engagés de leur propre vie, sur le fil du rasoir des événements, cherchant la parole ajustée, le geste ajusté afin de sortir du torrent qui les emporte. Dans ce mouvement, il est aussi question de transmission. Au milieu des regrets, des désirs, des renoncements et des réalisations, l’accomplissement est le fruit d’une orientation résolue vers un autre futur et de la réception de valeurs ou d’enseignements passés toujours aussi actuels.
Valère Staraselski nous propose de prendre davantage en considération nos propres vies, à redécouvrir les merveilles ou les étrangetés auxquelles nous ne prêtons plus attention.
« Vivre, j’aime ça ! Aussi absurde à force de dureté que soit parfois l’existence, j’aime vivre. Pas donné à tout le monde en vérité ! Aussi étrange ou arbitraire que cela puisse paraître, je suis un vivant. C’est-à-dire que je suis dans la conscience de quelque chose qui ne peut être sans moi et qui me dépasse absolument. Je flotte pour un temps donné, à l’image de ces planètes au-dedans de ce vaste espace noir et mystérieux que l’on appelle l’univers. Et pris dans ce présent qui disparaîtra pour faire place au silence minéral ou au bruit fuyant du vent sur les pierres tombales, je vis, ayant toujours su le respect que je dois à mes congénères, en raison même du mystère qui nous réunit. »
Site de l’auteur :
https://valerestaraselski.net/site/
Source: La lettre du crocodile