Introduction, traduction du sanskrit et notes de David Dubois, Editions Almora.
Pour la première fois, David Dubois nous offre une traduction directe du sanskrit, sans la perte du passage par l’anglais, du Tantra de la Reconnaissance, le Vijnâna Bhairava Tantra, un manuel de méditation autant singulier que remarquable qui s’inscrit dans le shivaïsme non-duel du Cachemire, plus exactement dans le courant dit du tantrisme śākta.
Ce courant, rappelle David Dubois, considère que « la conscience est l’attribut essentiel de l’absolu (…) mais cette conscience n’est pas une entité abstraite, métaphysique. Elle est la conscience, notre conscience de tous les jours. ».
La doctrine de la Reconnaissance est une pensée intégrale, libertaire, fondamentalement non-duelle qui recherche un accès direct, immédiat à l’absolu et sa liberté. Le manuel qu’est le Vijnâna Bhairava Tantra n’obéit à aucune règle et se révèle avant tout pragmatique, ne visant que l’essentiel. De la reconnaissance de l’intervalle d’instant en instant à la haute philosophie par laquelle le langage même dissout le langage en passant par l’art du rituel, rien n’est interdit mais tout est examiné et intégré dans un rapport direct qui dissout toute forme de séparation.
Les techniques ou expériences proposées dans le manuel ne sont pas spécifiques d’un courant traditionnel, certains peuvent être communes à plusieurs courants, la plupart relèvent d’influences diverses mais toutes ces techniques sont ici orientées vers l’essence, vers la finalité non-duelle. « Notre texte, indique David Dubois, est donc la quintessence secrète de la connaissance expérimentale que l’absolu a de lui-même. » Outre le Vijnâna Bhairava Tantra, ce livre rassemble d’autres textes apparentés notamment les « instructions secrètes « de la tradition de la Déesse », aphorismes transmis de « la bouche des yoginīs », deux textes d’un maître de ce courant, Bouquet pour l’éveil à soi et Réalisation non-duelle ou Jeu de la conscience.
A ceux-ci viennent s’ajouter un extrait de la Doctrine secrète de la Déesse Tripurā, un poème de Narahari (un maître du XVIIème siècle), et deux textes non-dualistes du XXème siècle. Le Vijnâna Bhairava Tantra et les textes apparentés sont totalement inclusifs. Ils ne rejettent rien, ni la dualité ni le corps à l’inverse de bien des courants pour lesquels il est pour le moins suspect : « C’est seulement dans le śivaïsme ésotérique révélé par la forme terrible de Śiva – Bhairava – que la conscience commence à se reconnaître en son intégralité. Elle est au-delà de la dualité du bien et du mal, du pur et de l’impur, du corps et de l’esprit, du sensible et de l’intelligible, du transcendant et de l’immanent. Elle est adorée à travers des puissances féminines et sauvages, qui prennent possession de leurs adeptes pour les diviniser lors des grands banquets secrets enjoints par cette religion ésotérique.
Le salut ne consiste plus à renoncer au corps et aux émotions, mais à les transmuter. Le salut n’a pas lieu malgré le corps, mais en lui, grâce à ce corps qu’il s’agit de dilater jusqu’à l’infini. » Si les transgressions formelles existent, il s’agit surtout de transgresser tout ce qui limite la conscience quand elle s’explore, se découvre, se célèbre elle-même en sa nature absolument libre. Le pragmatisme du Vijnâna Bhairava Tantra tient ainsi dans sa capacité à dénouer, à délier, à défaire.
L’érudition et le travail considérable de traduction et de notes de David Dubois font de cette édition la référence incontournable en langue française pour approcher les traditions tantriques non-dualistes dans ce qu’elles ont d’essentiel, la pleine intégration ici et maintenant de ce qui se présente.