Ce manifeste hédoniste arrive après quatre décennies d’une quête commencée dramatiquement à l’âge de dix ans, quête étalonnée par de nombreuses études et près de trente livres consacrés à l’hédonisme et à une désormais célèbre contre-histoire de la philosophie.
Aujourd’hui, Michel Onfray se retourne pour mesurer le chemin parcouru et surtout mettre en perspective la cohérence de cet ensemble hédoniste de première importance.
On peut ne pas aimer Michel Onfray, contester ses choix philosophiques, mais on se doit de reconnaître la profondeur de l’œuvre, son accessibilité et son influence bénéfique sur une société de plus en plus arc-boutée tel un point d’interrogation. Justement, les questions posées et explorées par Michel Onfray sont nombreuses. Il y a d’abord la question de Spinoza : « Que peut le corps ?», véritable colonne vertébrale de la démarche hédoniste.
Pour Michel Onfray, rappelons-le, être philosophe c’est vivre en philosophe. Les questions posées bousculent ainsi immédiatement nos croyances, nos comportements, nos institutions et viennent s’inscrire dans nos chairs : Comment penser en artiste ? De quelle manière installer l’éthique sur le terrain esthétique ? Quelle place laisser à Dionysos dans une civilisation totalement soumise à Apollon ? Quelle est la nature de la relation entre hédonisme et anarchisme ? Selon quelles modalités une philosophie est-elle praticable ? Que peut espérer le corps des biotechnologies post-modernes ? Quelles relations entretiennent biographie et écriture en philosophie ? Selon quels principes sont fabriquées les mythologies philosophiques ? Comment déchristianiser l’épistémè occidentale ? De nouvelles communautés sont-elles possibles ?
A travers des réponses parfois radicales, presque héroïques, jamais sans profondeur, jamais sans distance toutefois, Michel Onfray fait le pari d’un réenchantement hédoniste du monde auquel nous ne pouvons que souscrire même s’il appartient au lecteur de se positionner par rapport à certaines propositions audacieuses.
Le livre, synthétique, précis, s’avère à la fois une excellente introduction à l’œuvre de Michel Onfray, pour qui ne le connaît point encore, et une clé de lecture de l’ensemble de son œuvre, clé qui permet de mieux s’emparer de ce formidable hymne à la vie que constitue les quelques trente livres écrits jusqu’à ce jour.
Un certain nombre de concepts, qui tous appellent, exigent une mise en œuvre sont ainsi présentés avec la force de la conviction née de l’expérience pour « une éthique élective », « une érotique solaire », « une esthétique cynique », « une bioéthique prométhéenne », « une politique libertaire » approchée par « une méthode alternative » dans laquelle la contre-histoire de la philosophie tient une place essentielle. Michel Onfray insiste de nouveau sur une nécessaire déchristianisation autorisant un athéisme postchrétien qui ne s’affirme pas contre mais laisse émerger ses propres valeurs intrinsèques. C’est peut-être dans le domaine de l’érotique que Michel Onfray soupçonne le plus de résistances et de faciles récupérations :
« Cette logique d’une libido libertaire, cette volonté d’un éros léger, cette célébration de la machine célibataire, cette métaphysique de la stérilité, ce contrat hédoniste, ces combinaisons ludiques à même de définir un libertinage post-moderne ne doivent pas rester propositions d’hommes auxquelles les femmes devraient consentir. Ce serait, sinon, contribuer à la misère sexuelle, voire l’augmenter dans des proportions considérables. » Il invite donc le lecteur à penser un féminisme libertin pour en finir avec le libertinage féodal.
Certes l’audacieuse bioéthique prométhéenne qu’il défend fait grincer des dents mais, malgré les lacunes de la recherche, les sciences et les technologies, il le sait, lui donneront très rapidement raison. Aussi peut-il sereinement envisager une « pédagogie de la mort », éclairée par la philosophie plutôt qu’obscurcie par la théologie chrétienne. Michel Onfray a recours aux anciens païens pour affronter la mort plutôt que l’apprivoiser. Il rappelle l’argument d’Epicure : « elle n’est pas à craindre car, quand elle est là, on n’y est plus, tant qu’on est là, elle n’y est pas. De fait, elle ne nous concerne en rien. Pour ma part, je ne dirais pas en rien, mais elle nous concerne comme idée. »
« La mort, poursuit-il, suppose l’abolition de l’agencement de ce qui nous permet de jouir ou de souffrir. Rien à craindre donc de la mort. C’est avant qu’elle produit ses effets : en nous terrorisant à l’idée de ce qui nous attend. Mais ne présentifions pas la négativité. Le moment venu suffira bien assez. L’essentiel consiste à ne pas mourir de son vivant donc à mourir vivant – ce qui n’est pas le cas d’un certain nombre de personnes mortes depuis bien longtemps pour n’avoir jamais appris à vivre, donc pour n’avoir jamais vraiment vécu. »
Michel Onfray, à travers une constellation harmonieuse de questions et d’explorations propose au final un art de vivre avec joie et lucidité qui tombe à pic au beau milieu de notre société prostrée dans un doute inhibant.