C’est un essai tout à fait intéressant, parfois passionnant, que nous propose Michel Baron dans cette exploration des liens qu’il est possible d’établir entre psychanalyse et Franc-maçonnerie.
Il est intéressant pour le regard intelligent qu’un psychanalyste, aussi franc-maçon, peut poser sur la Franc-maçonnerie, et d’autant plus intéressant que la psychanalyse est fondamentalement anti-traditionnelle, dans le sens ou l’initiation lui échappe, et que ce qu’elle saurait en dire est hors sujet. La psychanalyse traite de la personne inscrite dans la temporalité tandis que l’initiation appelle l’être, cherche à inscrire la conscience dans cette verticalité, ce non-temps dans laquelle il n’y a justement plus personne. En psychanalyse, tout n’est que parole, y compris les silences. En initiation, tout est silence, et d’abord la parole, fusse-t-elle sacrée, fusse-t-elle profane. La chambre du milieu est hors du champ de la psychanalyse, elle est très exactement hors-champ de toute représentation.
Mais, la Franc-maçonnerie n’ayant plus grande chose d’initiatique, si ce n’est parfois une vague intention, le sujet de Michel Baron met en évidence son fonctionnement, ses mécanismes, ses machines de désir, ce qui se joue là, ses errances, ses erreurs. L’auteur est très conscient des dysfonctionnements des deux institutions, Franc-maçonnerie et psychanalyse :
« La Maçonnerie est-elle restée le lieu d’une Europe éclairée ? Hélas, on peut en douter : les classes moyennes qui peuplent les loges se suffisant de « planches » souvent médiocres, misant davantage sur le merveilleux que sur un travail scientifique.
Nous sommes loin de la « Royal Society ». Nous pouvons avancer l’idée que le poids de l’institution maçonnique sera en fonction de sa capacité d’accueillir en son sein les chercheurs, les écrivains, les artistes, les philosophes et les théologiens actuels en leur offrant un lieu de tolérance, un véritable laboratoire d’Idées.
La psychanalyse prête aussi le flanc à la critique : les clivages et les guerres intestines l’ont ravagée, durcissant les positions jusqu’à faire de certains groupes, de véritables chapelles animées par des gourous narcissiques, plus intéressés par le pouvoir que par la science, se produisent devant un public de « croyants » qui ne font plus l’indispensable rapprochement entre discours et clinique et se plaisent à répéter des formules toutes faites qui seraient censées être efficaces avec les analysants ! »
L’auteur évite de s’enfermer dans la psychanalyse, en faisant quelques détours heureux par la philosophie ou l’histoire maçonnique, ce qui n’empêche pas l’illusion essentielle de demeurer. L’auteur pense que la psychanalyse et la Franc-maçonnerie en savent long sur l’homme. Ce savoir là résonne par trop avec l’avoir. L’une et l’autre avancent des concepts de la personne, et parfois de ce qu’elle devrait être, au nom de quoi d’ailleurs. Si la psychanalyse est bien à sa place, dans le champ thérapeutique, assumant comme elle peut cette fonction qui vise à réconcilier la personne avec elle-même ou avec le monde, ce qui est la même chose, la Franc-maçonnerie a oublié la place qui est la sienne dans le champ initiatique et sa fonction, qui conduit à reconnaître la nature de la personne, le vide, et à accéder, simultanément, à cet état originel et ultime qu’est l’être, la plénitude du vide.
Le fait que l’essai de Michel Baron présente une thèse cohérente, un parallèle entre psychanalyse et Franc-maçonnerie tout à fait recevable est une indication forte du caractère massivement profane aujourd’hui de la Franc-maçonnerie.
Un livre à étudier.