Voici un chef d’œuvre, publié pour la première fois intégralement en français grâce au travail acharné des traducteurs qui se sont attaqués à cette montagne, François Dominique et Serge Gavronsky.
Louis Zukofvsky (1904-1978) n’est pas tout à fait inconnu en France. C’est même en France que ce livre trouva ses premiers défenseurs. En 2018, Nous avait déjà publié 80 fleurs. « A » est un livre culte aux USA, véritable manifeste, et Zukofvsky est considéré comme le père du mouvement objectiviste. Le livre est l’expression même de la vie de l’auteur. Rédigé sur cinq décennies, il traverse les espaces, les temps et les cultures et se montre comme une mosaïque improbable d’impressions, de regards, de réactions, d’adhésions, de rejets, de combats, de défaites et de victoires… un panoramique du morcellement de l’être qui tient bon, malgré tout.
D’origine lituanienne, fils d’immigrants juifs qui rejoignirent les Etats-Unis, Zukofvsky n’eut pas une vie facile. Le « poème d’une vie » mêle une multitude de parcours, ceux de ses intimes, ceux des évènements, ses propres parcours intérieurs, qui forment une trame à laquelle de nombreux qualificatifs peuvent être appliqués, à la fois réducteurs et éclairants : polyphonique, épique, situationniste, symphonique, politique, révolutionnaire, spinoziste (symboliquement, la table des Zukofvsky gardait toujours un couvert pour Spinoza) et autres, tout ceci est vrai et faux.
Zukofvsky écrit libéré de toutes les règles, ce qui donne à sa poésie une puissance étrange et une dimension hypnotique à la lecture. Plus qu’un livre, « A » est une expérience. Les traducteurs nous invitent d’ailleurs à lire cet ensemble à haute voix.
Extrait au hasard parmi les 800 pages de l’ouvrage :
« L’espoir est un pauvre compagnon
Mieux vaut une toque de fourrure
Avoir les oreilles au sec
Sous le grésil et les bourrasques neigeuses
D’hiver. Nous trois bien au chaud.
Ce chaud n’est-il pas sans pareil ?
Mieux vaut discuter que se disputer
Tibia c’est l’os de la jambe
Ou la vieille flûte au souffle agile
Qui joue des gammes sans ânonner
Et pourrait même refigurer la Passion
« Le sang du Christ, le sang du Christ
Ainsi, mes amis, le sang du Christ
N’a pas plus de vertus
Que le sang du taureau ou de la chèvre
Ni plus, ni moins. »
Pas de miséreux en croix.
Une économie de forces
La grâce n’est pas pressée. Pas
De clous pointus. Mais tel
Un fouet qui fouaille et fustige
Un simple manteau égaré, pour ce vieux
La moisson de toute une vie,
Il eut encore le temps de dire Ah »
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Source: La lettre du crocodile