A. Wandre nous conduit dans les couloirs, les cellules, l’angoisse, la violence la proximité intolérable de la prison. Il déambule aussi dans les couloirs de sa geôle intérieure, suivant un sentier étroit comme un fil élastique tendu au-dessus de l’abîme.

Il présente ce mélange de lucidité, de crudité, de distance et d’implication, de pudeur qui rend son témoignage presque familier. Point d’artifice ici, pas de faux-semblant, pas de choc des vérités non plus, c’est plus subtil. Le lecteur est saisi par le texte. Le voilà inscrit, matriculé, à travers l’auteur. D’emblée, il est clairement établi que chacun d’entre nous peut se retrouver là-bas, du jour au lendemain. La question de l’innocence n’a rien à voir dans cette affaire, celle de la justice non-plus, lois et contre-lois peut-être, jeux de pouvoir et de territoire certainement.
Au cœur de toute cette fange obscure, malgré le clivage, un infime point de lumière perdure. Il brûle la moindre aspérité qu’offrent les murs lisses de l’aberration organisée pour intensifier sa pâle luminescence, l’humour, la poésie, l’étrange… On ne peut pas parler d’espoir, c’est autre chose, sans nom puisque né de l’innommable.
Les interventions poétiques de Christoph Bruneel viennent souligner l’expérience de l’auteur, inciser celle du lecteur. Elles sont comme une respiration, entre un enfer et un autre.
« J’ai écrit dans l’urgence, nous dit l’auteur, pour me débarrasser, vomir cette période haïssable. J’ai fait vite, préférant tenter de vous faire partager des situations, des impressions, plutôt que de vous imposer de longues descriptions. J’ai également omis de nommer tel ou tel, pour que vous ne vous attachiez pas à un personnage en particulier. La prison est un univers où les gens passent, apparaissent, disparaissent à une vitesse que vous n’imaginez pas. Ainsi, quand j’étais en maison d’arrêt, pour une population moyenne de sept cents personnes (sur six cents places) il y avait mille arrivants chaque année.
Traduction : des arrivées, des sorties et des départs chaque jour.
Alors, n’allez jamais en prison, et surtout, n’écoutez jamais ceux qui tirent une gloriole d’un quelconque séjour en taule. Ils mentent. A vous et à eux-mêmes. Personne ne sort intact d’une telle expérience. Tous ont laissé une partie d’eux-mêmes de l’autre côté des murs. A la sortie, vous êtes coupé en deux : une partie dans la lumière, l’autre dans l’ombre. En passant par ce chemin de douleurs, chacun y rencontre la peur, la lâcheté, la soumission, les pleurs, les angoisses, et bien d’autres choses…
Ne mettez jamais les pieds dans ces horribles lieux. A moins que vous n’aimiez être humilié, racketté, injurié, méprisé, violé. Ceux qui sortent en jouant les gros bras sont des tartarins de prison qui préfèrent jouer les fiers pour oublier le nombre de compromissions par lesquelles ils ont dû passer, ou pour oublier qu’ils rasaient les murs à l’intérieur. D’autres, pudiques, jettent un voile sur les souffrances endurées. Croyez-moi, aucun certificat de bonne conduite à la sortie. Aucun pardon. Surtout de la part de ceux qui le prêchent chaque jour ici-bas. »
Les prisons françaises constituent non seulement un avilissement pour les détenus mais une infamie pour tous ceux qui n’y sont pas. Elles sont une verrue impossible à cacher sur notre visage grimé. Ce n’est qu’en acceptant de nous voir tels que nous sommes que nous pourrons un jour résoudre le problème des prisons. En reconnaissant le côté sombre et chaotique de notre humanité partagée, nous introduirons naturellement du respect, de l’intelligence là où nous croyons cantonner la haine.
Ce livre tient éveillé et c’est bien !

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