Quand les mots brûlent par amour

Marie Murski a traversé l’enfer. Elle écrit dans une encre de lave qui dessine des arabesques de toute beauté bien que souvent terrifiantes. Dans le Faust de Goethe, nous avons appris de la bouche même de Méphistophélès que l’enfer c’est ici. Plus tard, un autre grand poète, Jacques Higelin, a chanté lui aussi « Ici, c’est l’enfer ». C’est par le Poème que Marie Murski a échappé à l’enfer.

 

Poème chevalier blanc 

tu rames empierré dans mes rivières à sec

tu surréalises tu vers-librismes tu alexandrines

tu couvres d’illuminés

mes cahiers couinant de pelotes d’épingles

triste tricot gisant les mailles en l’air

tu veilles aux lueurs démentes

mon corps crocus écarquillé pauvre de moi

 

Poème 

à mon chevet de coquette lépreuse

en cavale de bataille et de fièvre

tu parles doux tu romantises

ta main fraîche étoilée sur mon front

me console depuis toujours

 

Poème 

prince de sang

tu as grandi mine de rien

comme un pur diamant

 

Tu te tiens magnifique 

contre mes volets fatigués

 

malgré tout tu es resté.

 

Avec Marie Murski, nous connaissons la nature de l’enfer et nous apprenons à reconnaître les démons. Si l’enfer est ici, les démons sont parmi nous, les démons, ce sont nous, bien souvent.

 

VIOL

Mère utérine a hurlé 

écartelée nue dans la cabane avec les hommes

sur elle

Trois

Ils étaient trois

Chaque parcelle de sa peau gémit l’histoire terrifiante

Sa matrice hurle de douleur et d’épouvante

Malgré elle son ventre se resserre sur la semence 

des trois hommes

Semences et sangs mêlés

Milliards de têtards à tête chercheuse 

qui grouillent en elle

Qui grouillent

Elle les sent pulluler véloces et torpilleurs 

vifs comme des ruisseaux

ils envahissent tous les recoins de sa chair

tous les couloirs muqueux

durant une nuit un jour une nuit

 

Les hommes sont partis à l’aube du deuxième jour

Ils sont rentrés chez eux pour dormir

près de leur femme ou chez leur mère

La cabane est calme elle flotte entre terre et ciel

 

Mère-utérine allongée nue sur le grabat

désarticulée 

regarde ses cuisses tâchées de sang

Son bas ventre poisseux dégage une odeur de mort

Elle voudrait l’essuyer se laver elle tend la main

Et soudain elle sait 

son ventre le sait son cœur le sait

le grand tremblement de mon histoire a commencé

dans le désastre des couloirs muqueux

une rencontre a eu lieu

 

C’est le début de mon histoire

 

Beaucoup le savent ou le pressentent, la poésie sauve, réconcilie, avec soi-même avant le monde, libère. Sans la poésie, l’humanité aurait déjà disparu. Marie Murski a trouvé l’intervalle par lequel se faufiler hors de l’enfer.

 

Passer l’amour par un trou d’enfer 

tirer le fil jusqu’à l’usure

apposer son cœur ouvert

sur les guerres

les ailes en croix de la colombe

sur les bombes

s’y fracasser puis enlever les mots

 

Courir et brandir à son doigt

le dernier pompon du manège

Tuer Père inconnu fuir Mère-le danger 

entrer en saison froide 

maigrir jusqu’à plus soif

puis enlever des mots

 

Mettre du rouge sur sa bouche

prendre l’air et séduire tous les marins du port

les aimer en grappes

dans a vieille robe de mariée

un à un les épouser

puis enlever des mots

 

Après 

le poème nu

frissonne au bord du monde

c’est alors qu’il faut l’écrire

le serrer dans ses bras

le bercer jusqu’à l’aube

en prenant soin de son regard.

 

Marie Murski est sortie de l’enfer pour créer un jardin de lumière sans rien oublier de ce qui fait l’enfer. Si elle crie aujourd’hui, c’est avant tout pour que nous entendions. 

Site de Marie Murski : https://www.marie-murski.fr/

Présentation de Marie Murski par Les Hommes sans épaules : https://www.leshommessansepaules.com/auteur-Marie_MURSKI-710-1-1-0-1.html

Source : La Lettre du Crocodile

 

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