Les Hommes sans Epaules n°54

C’est un numéro exceptionnel que nous offre Christophe Dauphin dans lequel nous retrouvons Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Patrice Lumumba, Tchicaya U TAM’SI, Jacques Rabemananjara, Nimrod et de nombreux autres penseurs et poètes.

Au cœur de ce livre, l’invention de la « race » et la cascade de souffrances qui en découle.

« J’ai découvert, nous dit René Depestre en introduction, du point de vue sémantique, d’où venait le mot « race ». C’est à l’origine un terme de vénerie qu’on n’employait pas à propos des hommes. : il y a eu une extension : on l’a appliqué aux hommes, à une époque où il y avait une manie de classifier, légitime dans les sciences naturelles avec Linné, Buffon et tous les autres savants du XVIIIème siècle. Mais on a voulu aussi classifier les hommes, au point de voir des « Rouges » ici, là des « Noirs », des « Blancs » : tout cela relevait de la pure fantaisie. J’ai fait le rapprochement avec le carnaval. Un beau jour on a décidé que certains étaient des « Indiens », que les autres étaient des « Noirs », que c’était une façon générique de simplifier cavalièrement les choses. Sion devait tenir compte de chaque ethnie africaine et des religions, on n’en sortait pas. Donc, on avait en face de soi le « Noir » : c’était aussi une façon de discréditer, de diminuer l’être qu’on opprimait.

C’est une tentation diabolique qui est venue à l’esprit des colonisateurs d’ajouter ce malheur à tous les autres malheurs de la colonisation et de l’esclavage… »

Sommaire : À propos de la « race », par René DEPESTRE

Ainsi furent les Wah 1 : Poèmes de Yvan GOLL, David DIOP, Lamine DIAKHATE, Christopher OKIGBO, Jean-Baptiste TATI-LOUTARD, Marc ROMBAUT, Breyten BREYTENBACH, Yambo OUOLOGUEM, Valentin-Yves MUDIMBE, Amadou Lamine SALL

Une Voix, une œuvre 1 : "Léopold Sédar SENGHOR, le poète-Sénégal du fleuve universel", par Christophe DAUPHIN, avec des textes de Aimé CESAIRE, NIMROD, Poèmes de Léopold Sédar SENGHOR

Dossier : "Tchicaya U TAM’SI, le poète écorché du fleuve Congo… ", par Christophe DAUPHIN, avec des textes de Patrice LUMUMBA, Aimé CESAIRE, Jean BRETON, Poèmes de Tchicaya U TAM'SI

Une Voix, une œuvre 2 : "Madagascar, la poésie : RABEMANANJARA !", par Christophe DAUPHIN, Poèmes de Joseph RABEARIVELO, Jacques RABEMANANJARA

Vers les terres libres : "Lyrismes en partage : Cinq poètes de la Francophonie des peuples", par Christophe DAUPHIN, Poèmes de NIMROD, Abdourahman A. WABERI, Alain MABANCKOU, Jean-Luc RAHARIMANANA, Patrice NGANANG Ainsi furent les Wah 2 : Poèmes de NIMROD, Alain PIOLOT, Pierre MAUBE, Anne BARBUSSE, Alexandre BONNET-TERRILE, Warsan SHIRE, Kouam TAWA

Les pages des Hommes sans Epaules : Poèmes de Alain BRETON, Christophe DAUPHIN, Paul FARELLIER

Beaucoup de noms présents dans ces pages sont inconnus de la majorité d’entre nous. Tous portent une parole puissante et bénéficient d’un portrait suffisamment développé pour que leurs paroles ne soient pas qu’une émanation sans chair. Tout au contraire, l’histoire de ces poètes, qui sont autant de grands témoins, rend la parole manifeste.

Le dossier est consacré à Tchicaya U Tam’si, « le poète écorché du fleuve Congo », « fils révolté » de Senghor, plutôt que disciple, nous dit Christophe Dauphin. Tchicaya U Tam’si cherche à balayer préjugés et illusions. Il ne veut rien laisser auquel se raccrocher afin de laisser la possibilité de se construire hors des adhérences. Il a cru cependant en Patrice Lumumba. Nous connaissons la suite.

Tchicaya U Tam’si propose une contre-histoire de l’Afrique, contribution à une identité africaine, n’hésitant pas pour cela à faire éclater les identités factices nées de la colonisation.

« Son lyrisme étincelant et tragique, écrit Christophe Dauphin, est avant tout une quête passionnée et perpétuelle de l’identité. Un cri bouleversant. En rupture avec la poésie de la négritude, il propose des poèmes éclatés, à la syntaxe désarticulée, travaillés par des ruptures de tons, de collages baroques, qui juxtaposent le prosaïque et le sublime, provoquant ainsi une tension, qui, à son tour, provoque l’intranquillité du lecteur. »

Place au poème :

Natte à Tisser

Il venait de livrer le secret du soleil

et voulut écrire le poème de sa vie

pourquoi les cristaux dans son sang

pourquoi les globules dans son rire

il avait l’âme mûre

quand quelqu’un lui cria

sale tête de nègre

depuis il lui reste l’acte suave de son rire

et l’arbre géant d’une déchirure vive

qu’était ce pays qu’il habite en fauve

derrière des fauves devant derrière des fauves

Nous ne pouvons rendre compte de la richesse et de l’importance quasi vitale, de ce numéro. Insistons simplement sur la nécessité de se procurer ce cri superbe qui déchire la bêtise de notre époque.

 

Source: La Lettre du Crocodile

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