Le livre est un mélange réussi d'intensité et d'érudition. Michel Cazenave tente de poser le cadre de la passion amoureuse qui justement n'en admet aucun. aucun cadre, aucune limite. Il parcourt l'étymologie, l'histoire, la littérature, la poésie. pour rappeler l'infinie variété des formes que sait prendre l'amour quand il se fait folie, une folie qui libère l'un et emprisonne l'autre. -Mais c'est sans conteste aux trois femmes de ce livre de révéler l'Esprit de la passion amoureuse en sa double essence de chair et de feu. C'est en effet à la femme, à la fois poétesse et prophétesse, à la fois épouse, amante et muse, de révéler ce que l'homme ne fait que soupçonner.
Jacqueline Kelen nous dit d'abord la puissance de cette queste insensée où les sens, physiques et spirituels, emportent tout :
"Tout ce qui d'amour fut conquis et exploré comme une contrée neuve, tout ce qui en amour fut éprouvé comme feu et folie, délices et tourment, mort et joie, tout ce qui de l'amour fut glorifié en art suprême, joignant la beauté du monde au salut de l'âme, les XIIème et XIIIème siècles en firent leur culture, leur foi, leur chant. En ces temps clairs du Moyen Age, du moins dans l'aristocratie et chez les clercs, les amants littéraires ne se distinguent pas de ceux qui vivent leur passion dans la trame des jours. Il n'existe pas encore cette distance terrifiante entre l'homme qui vit un amour et celui qui compose un poème d'amour : la vie entière est lyrique, en soi la passion est une réalité qui ne saurait trouver refuge ni compensation dans l'exercice artificiel et vain du genre littéraire."
En effet, s'il existe une Tradition d'amour c'est parce que la passion amoureuse est queste d'un Réel Absolu par une intensification de la conscience, de soi, de l'autre, de l'Un-l'autre, de Soi enfin. "Aussi, nous dit Jacqueline Kelen, l'amour constitue-t-il, en même temps qu'un art, une philosophie et une religion." Nous retrouvons là les trois dimensions de l'Amour Courtois, dimensions que nous retrouverons jusqu'à Descartes qui en voulant soumettre la passion à la raison nie la fonction initiatique de l'amour.
Catherine Pont-Humbert s'attarde longuement sur Marsile Ficin à propos du jeu magique entre Amour et Beauté :
"Pour Ficin, l'Amour est désir de Beauté, or la Beauté est une grâce et, comme toute Beauté se fonde sur l'harmonie donc sur la tempérance, il s'ensuit qu'un amour véritable est honnête et qu'on ne peut être que juste quand on aime dans l'ordre. C'est ce désir de beauté qui crée entre ceux qui s'aiment cette émulation. Par Beauté, il ne faut pas seulement entendre celle de l'âme, mais aussi celle du corps et encore celle de la voix. L'Amour s'épanouit pleinement quand le corps et l'âme partagent la même beauté. Si l'Amour, en tout, est le principe de l'ordre, il est inconcevable sans la Beauté et c'est cette beauté que doit rechercher tout vrai platonicien.
L'Amour dépend de celui qui l'inspire, or sur le plan ontologique, l'objet d'Amour est Dieu. Le Bien qui est l'essence même de Dieu se fait Beauté dans le monde pour provoquer l'âme qui découvre dans l'activité des corps la puissance du créateur."
Parce que la quête amoureuse est un chemin héroïque de divinisation qui exige un dépassement permanent de ce qui arrive, le vertige de la folie est inévitable. Vertige de la Beauté. Folie de l'Amour. C'est en affirmant "Quand j'aime, je veux" que
Catherine Pont-Humbert indique avec exactitude la voie héroïque. Voie qui perdure car la femme est toujours muse, malgré l'homme, malgré un monde en perdition et ceci à toutes les époques. Florence Marguier relève que "Dans une société où la passion se révèle pour le père de la Comédie humaine comme "un espoir qui peut être trompé", la femme Muse, immortelle bien-aimée ou accompagnatrice, inspire le créateur. Cette présence libère chez l'artiste des moments de grâce, lui insufflant sa force de création." Elle insiste aussi sur le fait que la passion "ne peut être vécue que dans une profonde liberté de l'esprit". Voilà pourquoi, aussi destructrice qu'elle apparaisse aux yeux profanes, la passion est toujours libératrice et porteuse d'une verticalité. Elle invite à la transcendance, à l'Absolu. Parfois contre le corps, parfois avec le corps, ou même par le corps, la passion demeure, car l'Etre demeure.
Il faut remercier Michel Cazenave pour avoir planté, par ses contributions savantes, un magnifique décor pour que ces trois femmes, ces trois muses, Jacqueline Kelen, Florence Marguier, Catherine Pont-Humbert, se livrent et nous livrent, en même temps qu'une très belle facette d'elles-mêmes, un fort beau voyage dans l'univers de la Passion et de l'Absolu, univers à la fois fantasmatique et plus réel que la réalité, déchirant les guenilles des pensées étriquées pour nous inviter à l'Aventure.

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