L’éternel Apprenti ou l’intelligence des mystères de Marie Lorenzi & Maxime Giraudon

Les auteurs de cet essai veulent interroger les rituels maçonniques au premier degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté en remontant aux sources historiques et culturelles de ce rite au rayonnement important. Ils cherchent dans la Franc-maçonnerie une réponse au désenchantement du monde et à la mésalliance métaphysique de nos sociétés postmodernes. Marie Lorenzi et Maxime Giraudon postulent l’existence d’une véritable pensée maçonnique dont la mise en œuvre se révèle créatrice.

« Elle peut offrir, nous disent-ils, des outils pour cultiver une éthique de soi, un idéal de perfectionnement, nécessairement intime et personnel, dans des temps où la morale sociale devient pour beaucoup une contrainte qui ne s’intériorise plus dans les consciences. » Marie Lorenzi et Maxime Giraudon proposent au lecteur une méthodologie originale pour sortir de l’analyse sèche et stérile du symbole et favoriser un mouvement dynamique. Le symbole, ou le mystère initiatique, n’est pas une simple représentation, il initie un procès initiatique et invite au voyage subjectif plutôt qu’à l’illusion objective.

« En saisissant les paramètres de composition de ces parcours, faits de commentaires narratifs ou argumentatifs, d’imaginaire et de dramaturgie (décor, orientation, gestes, signes paraverbaux), on peut espérer que chacun puisse développer, progressivement, ses approches subjectives, que chacun devienne un guetteur de sens, grâce à l’interaction produite entre tous les éléments verbaux, symboliques, spatiaux et temporels de la réalité de chaque tenue. Réalité à la fois objective et partagée, réalité individuelle et incommunicable, fondant déjà de manière diversifiée une forme de la liberté maçonnique.

Car la Franc-maçonnerie, en se servant de toute la gamme des signes, communique ses connaissances initiatiques par l’utilisation de plusieurs langages. L’analyse pourra, donc, être linguistique, traitant le niveau oral et verbal, mais aussi sémiotique, envisageant tout le système non verbal de la communication. »

La première question que posent les auteurs est celle de la dimension mystérique de la Franc-maçonnerie. Le mystère opère en effet car il résiste à la pensée raisonnante. Le mystère, « la chose secrète » opère dans l’interne et par l’interne. Il touche l’intimité de l’être. Nous avons largement perdu le rapport initiatique au mystère qui était commun pendant l’Antiquité, que cela soit en Grèce ou en Egypte. L’initiation maçonnique est héritière des mystères antiques parce que les mythèmes mis en œuvre par les rituels opèrent au sein de notre imaginaire et modifient favorablement notre modèle du monde et notre expérience de celui-ci. Marie Lorenzi et Maxime Giraudon s’intéressent justement aux structures anthropologiques de l’imaginaire maçonnique avant de traiter de l’émergence du sacré dans le rituel d’initiation.

Ils notent la relation, la presque équivalence entre secret et sacré avec cette remarque fondamentale : « Le secret vaut donc moins par son contenu que par la dynamique qu’il instaure, car c’est surtout la progression initiatique qui implique une « secrétion du secret » (selon une expression d’Andras Zempléni). Comme le souligne très justement Jean Mourgues : « nul n’a droit qu’à la vérité qu’il a su découvrir ». » Cette pensée maçonnique dynamique est le fondement d’une philosophie maçonnique et d’une identité maçonnique, philosophie et identité non pas enfermantes mais ouvertes sur l’altérité. La dernière partie de l’ouvrage aborde la muséalisation des symboles et nous alerte de nouveau sur le rapport que nous entretenons au symbole.

« La muséalisation consiste donc à transformer des choses en objets de musée. Sorties de leur ancien contexte, les choses perdent leur fonction. Les objets acquièrent ainsi un nouveau statut. L’objet muséalisé devient pour Krzysztof Pomian un « sémiophore » : un porteur de signe. Il se dote d’une signification particulière, bien loin de son utilité d’origine. L’objet de musée est destiné désormais à être montré. En effet, de multiples raisons ont présidé à sa sélection. Il devient un témoin sacralisé en raison des qualités qu’il présente. (…) Le musée, comme l’atelier maçonnique, n’est pas propriétaire de ses collections, et donc de ses objets, mais il est simple dépositaire ayant la responsabilité de son entretien et de sa préservation. Le tout forme un patrimoine idéalisé de ses valeurs représentatives véritable thesaurus, le « trésor de la loge ».

Le risque est grand cependant que les muses désertent aussi bien les musées que les temples maçonniques et que l’intelligence du mystère demeure inaccessible.

Cet essai, tout à fait remarquable, introduit à la plurivalence créatrice des symboles, par une méthodologie du lien, aussi bien le lien de la linéarité historique que celui, plus insaisissable, de la transcendance.

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