Le Roi en Jaune de Jean Hautepierre

Nous attirons votre attention sur cet ouvrage exceptionnel à plus d’un titre, tant par la forme que par sa matière littéraire, de Jean Hautepierre.

Le Roi en Jaune c’est le titre d’un recueil de nouvelles de William Chambers. Paru en 1895, ce texte, à la croisée de multiples influences, est partiellement inspiré d’un original en langue néerlandaise, d’un auteur flamand anonyme, daté de la fin du XIXème siècle. Le texte demeure entouré de mystères. Nous parlons encore d’une « pièce maudite », censurée, confisquée et détruite par des autorités aux orientations différentes.

Le grand intérêt de la pièce est sans doute moins ses dimensions prémonitoires parfois troublantes que la mise en œuvre d’archétypes et de puissances à travers les principaux personnages. Le thème en est « la révolte cosmique contre le destin », à travers le jeu des masques, car c’est bien d’un carnaval dont il est question, de la farce du monde.

« On trouve, nous confie Jean Hautepierre, dans cette quête qui vise à la réalisation artificielle du Surhomme, le refus de tout ordre naturel, qui pousse finalement à leur paroxysme les tendances que nous voyons à l’œuvre sur les terres du couchant – pour reprendre ce beau titre de Julien Gracq – et, au-delà même encore, la volonté proprement démoniaque de mettre fin au Devenir. Etablir une vie éternelle sur les décombres de la mort et par le viol du Destin est non seulement une caricature de la transfiguration de l’âme, mais surtout une démarche qui lui est absolument antagoniste. Il ne peut en résulter qu’un enfer né des bonnes intentions qui voudraient faire persister indéfiniment la vie – un enfer né du désespoir d’un être face à la mort de ce qu’il aime et qui deviendra le promoteur, finalement désespéré jusqu’en cette mission ultime, d’un Destin aussi défiguré que lui, pire encore que la mort du monde qu’il vise à empêcher. Ainsi le Roi en jaune mérite-t-il, incomparablement plus que Créon, le qualificatif d’anarchiste couronné que Maurras donna à ce dernier. Il est l’exacte antithèse du Roi juste, comme Carcosa est l’exacte antithèse d’une autre planète. »

La question posée est donc celle d’une immortalité « pour durer » en lieu et place d’une immortalité par libération de toute temporalité et condition. Les dimensions métaphysique, philosophique, initiatique, parfois alchimique, du Roi en Jaune sont certaines, parfois en creux, parfois par renversement.

Jean Hautepierre nous offre deux textes, une transposition de cet original anonyme et une version plus personnelle, inspirée par des composants du texte originel et par d’autres sources, le texte de Chambers mais aussi le récit d’Ambrose Bierce, Un habitant de Carcosa, ou encore certain texte de Clark Ashton Smith, et des influences subtiles allant d’Edgar Allan Poe à Eschyle.

Le choix d’un texte de théâtre en vers contemporain est en soi un défi qui sert d’écrin à une idée qui relève du genre fantastique : « la pure contemplation du Désastre ». Ce théâtre en vers, contemporain, qui renoue avec une tradition d’écriture théâtrale ancienne, sert non seulement la tragédie mais aussi l’ordonnancement des mythèmes qui opèrent au sein de celle-ci à travers le Prince de Carcosa, Cassilda, la Princesse de Carcosa, Mélaainos, les veilleurs, des flots, des terres et des cieux, le Grand Pontife, le Bailli et autres personnages « en un temps et un lieu absolument indéfinis ».

Le Prince de Carcosa

Sur la terre qui sombre et qu’assiège la nuit,

Il ne reste plus rien que le culte maudit

Qui rôde près des morts sur le dernier rivage.

De ceux qui ne sont plus, même les derniers pas

Sont effacés par l’onde et la flamme d’en bas

– Et le néant vainqueur règne sur leur sillage

Oh ! Je les rejoindrais sans tourment et sans peur,

Heureux de ne plus vivre, hélas ! puisque tout meurt,

Si je n’avais pas vu de la terre profonde

Cassilda ressurgir et fuir en d’autres mondes ;

Si je n’espérais pas, au-delà de la mort,

Sous des soleils nouveaux la retrouver encor…

Outre la performance de Jean Hautepierre, la plongée dans l’univers à la fois familier et absolument étranger de Carcosa, ne saurait laisser indifférent le lecteur qui n’en sortira pas nécessairement indemne. Mais le jeu de masques en vaut la chandelle…

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