Autour de Jung. Le bouddhisme et la Sophia

Henry Corbin (1903-1978), penseur et chercheur éminent, l’un des philosophes et orientalistes les plus pertinents qui soient, n’a pas eu en France la réception qu’il aurait dû connaître. Spécialiste de la spiritualité islamique, et de l’Imaginal, Henry Corbin a exploré bien d’autres domaines de la tradition et de la philosophie et laissé une œuvre considérable encore à découvrir. Henry Corbin a rencontré Jung dans le cadre du Cercle d’Eranos fondé par Olga Fröbe Kapteyn sur une suggestion de Jung. Eranos a rassemblé de nombreuses personnalités dont Mircea Eliade, Gilbert Durand ou Hermann Hesse…

Ce livre, publié par Michel Cazenave rassemble des textes épars selon la forme suggérée par Stella Corbin. L’ordre dans lequel les textes se présentent n’est donc pas contraignant.

L’ouvrage est composé de deux parties. La première partie, C.G. Jung et le bouddhisme rassemble quatre textes, Le Zen (sur Le Livre de la grande délivrance) – La Terre pure (sur La psychologie de la méditation orientale) – Le livre des morts tibétains (sur le Bardo Thödol) – L’alchimie taoïste (sur le Secret de la Fleur d’or) suivis d’une conclusion sur le sujet du Soi et de la Sophia qui introduit à la seconde partie de l’ouvrage, Réponse à Job, consacrée à la Sophia.

Plusieurs annexes complètent cet ensemble. Plutôt que de C.G. Jung et le bouddhisme, il aurait fallu parler des bouddhismes en certains de ses aspects, d’autant que C.G. Jung s’appuie beaucoup sur les communications de D.T. Suzuki aux rencontres d’Ascona où se réunissait le Cercle d’Eranos. Le regard d’Henry Corbin porté sur le regard de C.G. Jung sur d’autres regards est riche d’interprétations, de questionnements, de pistes à suivre. Il est aussi, parfois, nécessairement limité.

Ainsi, l’approche psychologique du Secret de la Fleur d’Or et des alchimies internes est un contre-sens car, paradoxalement ces voies internes sont mises en œuvre hors de toute dimension psychologique, le non-conscient n’étant pas l’inconscient de la psychanalyse. Bien plus pertinents sont les écrits relatifs à la Sophia, cette opérativité perdue qui toutefois demeure. La voie sophianique se déploie ici en trois séquences, l’absence de Sophia, toutefois pressentie (est-elle alors absente ?), son actualisation dans la conscience, ici et maintenant, l’anthropomorphose divine, son exaltation enfin.

L’étude de Corbin / Jung sur la Sophia porte de remarquables intuitions. Par exemple : « Dieu veut changer sa propre essence. Ce ne sont pas des hommes nouveaux qui doivent être créées, mais un Seul, l’Homme-Dieu. Et le grand renversement s’accomplira : le second Adam ne doit pas sortir immédiatement et directement des mains du créateur : il doit être engendré par l’être humain féminin. Ce n’est pas seulement au sens d’un événement dans le temps mais en un sens substantiel, que la primauté échoit à la seconde Eve.

De même qu’un Adam vaut comme l’androgyne originel de même « la femme avec sa postérité » vaut comme un couple humain : la Regina caelestis et mère divine, et le fils divin qui n’a pas de père humain. L’Evénement annonce l’indépendance et l’autonomie de la Vierge Mère à l’égard de l’homme, du mâle. Elle est une fille de Dieu. C’est ne pas voir où se situe cet Evénement que de rejeter comme une simple définition dogmatique, le privilège de la Conceptio immaculata, exemptant la Vierge Mère de la souillure du « péché originel ».

La Vierge Mère ne porte pas seulement l’imago Dei ; comme fiancée divine, elle incarne son prototype, la Sophia. » Les sophiologies, à la fois diverses et une, exigent une méditation plutôt que des exégèses, c’est à cette méditation que nous invite Henry Corbin. L’exploration de chemins, tantôts directs, tantôts serpentins, parfois culs de sac, conduit à ce Silence où règne la Sophia Esprit-Saint.

La lecture de Jung par Henry Corbin évoque le véritable Jung et non celui formaté par l’université après sa mort. Elle rend vivante une pensée que d’aucuns s’emploient à stériliser comme l’a démontré les réactions à la sortie du Livre Rouge.

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