Images et rites de la mort dans l'égypte ancienne de Jan Assmann, aux éditions Cybèle.
Ce livre est probablement l'un des plus passionnants de ces dernières années sur les rites de l'égypte ancienne. Il intéressera aussi bien l'étudiant en égyptologie que le franc-maçon et ce quelque soit le rite car le mythe d'Osiris est le prototype du mythe d'Hiram.
L'auteur, Jan Assmann, professeur à l'Université de Heidelberg, est l'un des meilleurs spécialistes des Religions de l'égypte ancienne et plus particulièrement des textes funéraires. En 1999, il a donné quatre leçons à l'école Pratique des Hautes études. Ce sont ces quatre leçons qui sont ici livrées au lecteur, enrichi d'un appareil bibliographique fort riche.

D'emblée, cette étude nous interroge sur notre relation à la mort et sur la question de l'immortalité, réflexion que Jan Assmann inaugure en nous rappelant deux mythes fondateurs :
"Il y a deux mythes parmi les traditions de l'Ancien Orient qui définissent l'homme comme un être hybride/ambigu : équipé du savoir divin mais non de l'immortalité divine. Au savoir divin appartient l'immortalité et à la mortalité, l'ignorance, l'ignorance de la mort. Mais l'homme, cet être excentrique, a bouleversé cette disposition rationnelle. Il combine le savoir et la mort. Le mythe babylonien raconte l'histoire d'Adapa, fils d'Ea, le dieu de la sagesse. Il avait pu transmettre à son fils le savoir mais non l'immortalité des dieux. Un jour le vent déchire le filet d'Adapa qui pêchait dans le Tigre. Adapa maudit le vent et sa malédiction est tellement forte qu'elle à cause de son savoir extraordinaire, qu'il brise les ailes du vent, si bien que celui-ci cesse de souffler. Ainsi la situation insupportable devient évidente. Un homme possède le savoir divin sans pourtant être un dieu. Adapa est appelé devant Anu, le roi des dieux. Ea, son père, lui donne le conseil de ne toucher à aucune nourriture. Il pourrait s'agir de la nourriture de la mort qui causerait sa mort subite. Adapa refuse donc les repas qui lui sont proposés. C'était pourtant la nourriture de la vie. Les dieux voulaient en terminer avec cette situation intolérable en transformant Adapa en dieu. Mais finalement tout demeure comme auparavant et la combinaison précaire du savoir et de la mortalité subsiste pour tous les temps.

Le mythe biblique du paradis fait manger à Adam et éve de l'arbre du savoir et devenir sages "comme dieu", sicut deus. Mais avant qu'ils ne puissent manger aussi de l'arbre voisin l'arbre de vie, et acquérir l'immortalité qui va de pair avec le savoir, ils sont chassés du paradis."
Voici très exactement le paradoxe de la queste initiatique que doit résoudre l'hermétiste. C'est aussi la question essentielle de l'Ergon et du Parergon qui est posée et de la fonction du médiateur culturel et magique qui seul donne sens à cette situation insoutenable.
L'auteur étudie d'abord les différentes attitudes que l'humanité à développer comme réponses à la mort, de l'idée d'immortalité de l'âme à l'altruisme en passant par la croyance en la survie dans sa progéniture, la mort ennemie, la mort comme retour à l'origine, la mort comme mystère.
Jan Assmann étudie ensuite dans le détail les liturgies funéraires, ce qu'elles sont et ce qu'elles présupposent, leurs formes, leurs fonctions. Il analyse la justification des morts et la mise en scène rituelle du jugement des morts : préparation au procès, scène du jugement, glorification du mort justifié, l'embaumement, et la section finale. Il s'attarde longuement sur le culte sacrificiel régulier dans la tombe, soit la présentation des offrandes qui tient une place importante dans la liturgie funéraire égyptienne.
En appendice, et aussi comme un écho de la première partie de l'ouvrage, réflexion sur "la mort incontournable", Jan Assmann synthétise brillamment la théorie de la "parole divine" chez Jamblique et dans les sources égyptiennes :
"Mais la parole orale des dieux a, elle aussi, une importance fondamentale. Quand un dieu ouvre la bouche, on peut être sér que quelque chose de capital va en sortir, un ordre irrévocable, une institution qui existera pour toujours, un être, une coutume, une réalité quelconque. Les mots des dieux se réalisent immédiatement et automatiquement, c'est-à-dire indépendamment de l'intention que le dieu énonciateur y attache. Ce qui se réalise ou ce qui prend naissance à la suite d'un énoncé divin peut n'être qu'associé de loin aux mots énoncés, de préférence par un jeu de mots, un calembour. La parole est traitée comme une parmi les autres sécrétions corporelles, telles que le sang, la sueur, la semence, la salive, qui tous donnent naissance aux réalités les plus diverses. "

Partant du De mysteriis Aegyptiorum attribué à Jamblique, Jan Assmann nous introduit à une véritable "linguistique sacrée".
Indispensable.

texte: Le Crocodile, https://lettreducrocodile.over-blog.net/

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