Florence Quentin commence cet ouvrage par un hommage à Samira Ibrahim, jeune femme arrêtée au Caire lors d’une manifestation en mars 2011 et soumise à un odieux « test de virginité » et à des violences physiques par l’armée égyptienne contre qui elle porta plainte, courageusement et avec succès. Il est dédié plus généralement aux femmes, aux mères, « drapées dans la longue melaya noire paysanne (…) leurs enfants dans les bras » venues manifestées place Tahir pour le « Printemps arabe ». Florence Quentin voit en ces femmes déterminées de nouvelles Isis :

« Oui, avec leur manière particulière d’entrer en dissidence, ces femmes-là s’opposent à la stérilité et à la destructivité, non plus incarnées par le dieu Seth, assassin d’Osiris, mais par un pouvoir aux airs de moderne Moloch, qui dévore ses propres enfants. »
Isis, déesse protéiforme qui sait traverser les temps, incarne le mythe universel de la Déesse, qu’elle soit amante, épouse ou mère. Si elle hante l’inconscient collectif, si elle se déploie de mythe en mythe, si elle demeure, même dans les déviations et les détournements, son insaisissabilité ne fait que grandir. Florence Quentin, tout en s’appuyant sur l’histoire et l’archéologie, revendique une nécessaire et pertinente subjectivité et cherche, à travers la déesse, à manifester le réveil du féminin.
D’Asèt l’Egyptienne à Lilith, « sainte et fée », en passant par Isis l’Alexandrine, « la déesse romaine aux dix mille noms, Io la Florentine, d’autres encore, Florence Quentin, cherche à cerner les fonctions de la « Déesse des lumières » dans sa permanence et « dans tous ses états ». Elle évoque les visages multiples de la Déesse par le croisement des regards, des intuitions, des révélations des poètes et auteurs dans l’histoire. C’est qu’Isis ne cesse d’habiter la littérature et la philosophie : Apulée, Boccace, Goethe, Nerval, Novalis, Schelling, Hegel, Villiers de l’Isle-Adam, Crowley, …
Incarnation, manifestation ou révélation de l’Eternel Féminin, de la Sophia, de la Nature, déesse originelle et ultime, principe alchimique, gardienne de la boisson des immortels, Isis, la civilisatrice, en ses multiples fonctions, est toujours l’initiatrice, celle sans qui l’adepte, l’époux, le dieu est incomplet.
Laurence Quentin survole avec beaucoup d’intuition la place d’Isis dans l’hermétisme, notamment à la Renaissance, date où se fixent nombre de courants traditionnels qui voudront faire perdurer les mystères isiaques.
Si les siècles l’ont célébrée de manière diverse, Isis n’a jamais cessé de féconder les consciences et ce XXIème siècle lui aussi devra une part de sa créativité à la Grande Déesse.
« Nous avons besoin des dieux et des déesses. » conclut Florence Quentin. « Et d’elle en particulier. Elle ? Isis, dix mille fois nommée mais jamais totalement cernée, mirage né dans un pays de sable dont elle s’est éloignée un jour pour entamer sa course d’étoile à travers le monde, palimpseste complexe aux écritures superposées mais qui n’a jamais perdu ses traces anciennes.
Héroïne d’un mythe qui prend racine dans les temps immémoriaux et qui est sans cesse parcouru par la tragédie et l’espoir fou de renaissance et d’immortalité – miroir de nos angoisses existentielles et de nos rêves insensés de salut –, Isis a transcendé sa fonction originelle de déesse égyptienne. Changeant sans cesse de forme, jamais à bout d’imagination ni de souffle pour nous appeler à elle, Isis est finalement devenue une figure archétypique – de celles qui irriguent les représentations de l’inconscient collectif. (…)
Dans sa robe constellée d’étoiles gonflée par les vents, l’Isis maîtresse des flots tient toujours la barre du monde entre ses mains. »


Albin Michel
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