Albert Puyou, comte de Pouvourville, (1862-1939), fut initié dans le taoïsme sous le nom de Matgioï, « œil du jour ». Après avoir, comme rené Guénon, fréquenté les milieux occultistes (une filiation martiniste se réclame de lui encore aujourd’hui, il influença l’Eglise gnostique), il s’employa à introduire le taoïsme en France après son séjour en Indochine. Il fut un grand opposant au colonialisme.

Cet ouvrage nous propose une traduction des trois livres fondamentaux du taoïsme, le Tao ou Livre de la Voie, le Te ou Livre de la Vertu, le Kan-ing ou Livre des actions et réactions concordantes. Mais son intérêt réside surtout dans les commentaires de Matgioï qui accompagnent ces textes classiques déjà très accessibles.

Matgioï devait publier ses commentaires sur le taoïsme en trois volumes dont deux seulement furent édités, il s’agit de La Voie rationnelle et de La Voie métaphysique. Le troisième volume La Voie sociale s’intéressait à un projet sociétal basé sur la sagesse taoïste. L’ouvrage ne fut jamais publié. La lecture des commentaires rassemblés par José Nogueira permet toutefois d’identifier les grandes lignes de La Voie sociale. Une fois de plus, le lecteur sera étonné de la permanence du taoïsme et de sa pertinence actuelle.

« La menace de la mort n’est qu’un préservatif ; la mise à mort est un assassinat et est vengée par la mort de l’assassin. C’est une application de la doctrine du « choc en retour » des actions humaines qui fait l’objet du traité du Kan-ing. Chaque acte porte avec lui un germe de futur et la manifestation de l’acte déclenche nécessairement une sanction qui peut se produire immédiatement ou plus tard mais dont le résumé accompagne l’auteur de l’action le long de sa personnalité. C’est lorsque ce résumé est égal à zéro que le Nirvana est enfin atteint.

Seule la conduite non-conforme des grands peut rendre le peuple malheureux : et le malheur du peuple le conduit à se dégoûter de l’existence, à mépriser la mort, et à passer par suite une vie médiocre dans les révoltes. Les grands portent donc immédiatement la peine de leur erreur, parce que cette erreur, par juste contrecoup, leur fait perdre le seul moyen de gouvernement qu’ils puissent posséder vis-à-vis des hommes qui se sont écartés de la Voie. »

Il ne faudrait pas lire les commentaires de Matgioï à travers la vision courante, linéaire et réductrice du karma qui prévaut encore en Occident. Matgioï invite à appréhender l’acte comme un mouvement d’énergie, un effort psychique, qui vient co-influencer la complexité et la dynamique du tissu énergétique du monde.

« Or, dit-il, ce sont là précisément les phénomènes les plus importants que peut susciter l’action humaine ; ce sont les seuls qui demeurent, et qui, par un jeu de mouvements réciproques et parfaitement coordonnés, ont une existence perpétuelle ; ce sont eux seuls qui ont une résultante sur tous les plans, un écho dans tous les mondes et qui portent en eux ce caractère de pérennité que doit avoir tout ce qui dit, pense ou agit un homme, parcelle infinitésimale, mais certaine, de ce Tout indicible dont l’Eternité est une dimension. »

Il indique alors, en quelques mots, l’intérêt d’une alchimie particulière :

« C’est en ce monde énergétique que vont converger, sans se perdre ou s’annihiler, toutes les énergies partielles émises par les séries des actions humaines. Considérons-les jusqu’à leur entrée en ce monde mystérieux, athanor central où tout ce qui est une force s’élabore ; et tâchons de les saisir à leur sortie. »

Ce livre mérite une lecture très attentive. Les commentaires de Matgioï sont une opportunité d’approcher l’essence si subtile du taoïsme notamment à travers ses applications sociales.

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