Les aphorismes sur l’énergie attribués au sage Agastya constituent un ensemble de haute portée métaphysique. Traduits et commentés pour la première fois, ils étonnent à la fois par leur concision et leur portée.

Daté probablement de l’époque védique, le texte rappelle la métaphysique non-dualiste du Cachemire. Plusieurs indices permettent d’affirmer les liens d’Agastya avec le courant shivaïte, mais sans exclusive. Ailleurs, Agastya a traité notamment du culte de Lalit? et du ?r? yantra dont on sait l’importance pour les shivaïtes.
« …la définition manifestement non dualiste de l’identité de l’Être (sat) et de l’énergie (?akti) proposée par les ?akti-S?tra nous rapproche beaucoup plus de la tradition shivaïte et tantrique du Cachemire que de l’Advaitaved?nta de ?ankara. L’allusion fréquente à cette identité du Soi et de la ?akti primordiale, l’intuition profonde que l’Energie soit a-causale, qu’elle se présente à la fois comme différenciée et indifférenciée, que les phénomènes visibles ou les « apparences » ne soient pas assimilées à une pure illusion, c’est-à-dire à l’irréalité, mais bien plutôt à une « confusion » (moha) due à une perception altérée, tout cela inciterait à penser que ces ?akti-S?tra se réclament de concepts très voisins de ceux rencontrés dans les systèmes Trika, Pratyabhijn? et implicitement dans le plus original et le plus convainquant d’entre eux, l’école Spanda dite de la « vibration ». »
Jean Papin prend bien garde cependant de ne pas faire des ?akti-S?tra le « jumeau » ou le pendant des ?iva-S?tra, même si le lecteur retrouvera dans ces aphorismes des expressions de ce grand classique shivaïte.
Le texte en langage crépusculaire est d’une grande puissance par sa concision et son acuité. Il se passe de commentaires pour qui est au fait du jeu de la conscience et de l’énergie, non par l’étude mais par l’expérience.
« Voici donc ces aphorismes concernant l’Energie primordiale.
On doit savoir qu’elle est le dynamisme
Et que ce mouvement est a-causal, le non né.
Ce qui signifie sans contenu, hors du temps et de l’espace.
C’est le présent immédiat.
Conforme à cet état de fait, elle le dépasse cependant. »
Ou encore :
« Cela est reconnu : il n’existe pas de savoir sans connaissance.
Celui qui possède la connaissance (des Veda) et celle de la Nature essentielle des choses,
Celui-là atteint le but,
Il obtient l’absorption dans l’Absolu (brahman) et s’identifie à cet Absolu.
Ayant une telle perception, c’est un être accompli. »
Cependant le commentaire érudit, et assis sur la pratique, de Jean Papin éclaire le texte et en déploie la dimension métaphysique.
Exemple :
« Comment pour un être englué dans le conditionnement, concevoir que ce mouvement incessant ait son assise dans une suspension infinie exempte pourtant de toute passivité ?
C’est ce qu’indique le terme s?mnidhya : proximité et présence, un présent si rapproché qu’il ne dépend plus du passé ni ne laisse prévoir un futur, mais cependant contient aussi tous les devenirs. Un présent immédiat où les paradoxes sont résolus et néanmoins maintenus pour l’achèvement harmonieux du monde. Le sage « éveillé » le conçoit comme la perception nécessaire à l’entrée en unme?a, l’ouverture des yeux sur le cosmos imprégné de Conscience que l’on saisit dans sa Totalité.
L’unification des contraires s’effectue alors dans un mouvement permanent si rapide d’aller et retour entre les forces antagonistes que l’immobilité semble s’installer et qu’apparaît la stabilité du quatrième état (turya), équivalent de la « fermeture des yeux » (nime?a) qui est plongée dans l’intériorité et non-implication dans les jeux du monde gouverné par la loi de l’alternative. Mais cet arrêt de la turbulence des vipalka et de la pensée optionnelle (nirvikalpa) n’est pas comme le prétendre les ved?ntin, l’établissement dans une bulle de silence et d’inertie extatique permettant d’échapper aux contraintes de la dualité (illusoire ou non). Vivifié par la ?akti éternellement surgissante (satadodita, 4ème état s’écoule comme de « l’huile sur l’ensemble des états de conscience ordinaire, les imprègne et s’épanouit en plénitude dans le 5ème état, tury?t?ta, laissant place à la grande intégration... »
Le texte et le commentaire méritent donc une lecture très attentive. La métaphysique shivaïte n’est pas une construction intellectuelle c’est une explicitation à la fois technique et poétique de l’expérience de l’Être et de l’Energie. ?akti est comme le rappelle Jean Papin, non un attribut de l’Être mais sa nature même. Le lecteur observera particulièrement les conséquences sur la pratique de ce qui énoncé dans ces pages.

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