Le livre, excellent, de Massimo Introvigne est sous titré Le « Dan Brown Code » ou la réalité derrière les complots du Da Vinci Code et de Anges et Démons. Il met en évidence, ce qui a largement échappé à la critique française, considérant que ce n’est qu’un roman, les arrières-pensées de Dan Brown, moins innocent qu’il n’y paraît.

Massimo Introvigne rappelle a juste raison les ambiguïtés de Dan Brown lorsqu’il inclut dans son ouvrage la fameuse page Informations historiques qui, selon les éditions apparaît ou disparaît. Hors dans cette page, Dan Brown affirme que ses descriptions de documents et de rituels secrets sont « avérées ». Dan Brown s’est appuyé sur Les Dossiers Secrets découverts à la Bibliothèque Nationale de Paris sensés raconter l’histoire du Prieuré de Sion à partir de parchemins insaisissables, parchemins et commentaires étant des faux notoires. Dan Brown semble donc lui aussi victime et passeur de l’une des théories du complot qui polluent régulièrement les milieux spiritualistes et ésotériques.
C’est là d’ailleurs le véritable sujet de Massimo Introvigne qui, à travers les cas d’écoles des Illuminati et du Prieuré de Sion démonte les mécanismes qui aboutissent au développement des théories du complot, plutôt à la mode actuellement outre-manche.
Si les mythes traditionnels sont généralement porteurs d’un corpus initiatique, à la fois symbolique et pratique, qui fonde le changement générateur chez l’initié, certains acteurs de la scène ésotérique s’emploient à mystifier les initiables, les entraînant dans les méandres sans fin d’histoires à tiroirs. Certaines de ses histoires sont de belles histoires, c’est le cas de l’affaire de Rennes-le-Château et du Prieuré de Sion. Elles n’en sont pas moins des artifices qui éloignent les chercheurs du véritable objet de l’initiation qui est de sortir du rêve, l’éveil.
Massimo Introvigne montre comment un projet mineur, les Illuminés est devenu l’objet de manipulations multiples pour aboutir à l’une des plus fantasques théorie du complot, théorie qui connaît un succès grandissant.
« Les Illuminés ne sont donc ni une fabrication de romanciers, ni un puissant courant issu de la Renaissance et qui serait un club des plus grands génies scientifiques et artistiques. Au pays des maçons, ils sont un « courant chaud », friand de magie et d’occultisme ; ce courant eut un rôle politique en Bavière, quelques années avant la Révolution française. Au XXe siècle, il tint sa partie dans un mouvement plus vaste qui s’occupait de rituels gnostiques, d’évocation d’esprits et de magie sexuelle. Mais il n’était qu’un petit registre de cet orchestre : un groupe d’une centaine de gens, sans grand renom, pouvoir ou relief. Ce groupe prit une stature mythique qu’il dut à de talentueux affabulateurs Adam Weishaupt, Theodor Reuss, Leopold Engel et Hermann Joseph Metzger, à des littérateurs qui (bien avant
Brown) le mirent sur l’estrade aux États-Unis, et à tout un microcosme de chrétiens fondamentalistes alléchés par la découverte et la dénonciation de prétendus complots initiatiques à dimensions planétaires. »
L’autre cas, celui du Prieuré de Sion, nous fait suivre presque pas à pas un personnage étonnant, fabulateur de génie, qui d’un projet initialement politique, d’extrême droite, anti-maçon et antisémite, sans envergure, va faire l’un des mythes les plus féconds de la scène ésotérique. Collaborateur pendant le deuxième conflit mondial, le jeune Pierre Plantard va échapper à l’épuration de la fin de la guerre grâce à une incarcération pour abus de confiance. Il va alors recycler progressivement son organisation, Alpha Galates, qui mêlait politique et ésotérisme, en l’organisation à prétention ésotérique que nous connaissons aujourd’hui, le Prieuré de Sion. Le travail de Massimo Introvigne est précieux, il montre comment se construisent certains mythes toxiques, comment des idées similaires s’agglutinent d’artifice en artifice pour devenir un projet fascinant pour beaucoup de personnes en mal de croyance, en mal de rêve.
Si Massimo Introvigne prend la défense, en toute logique, de l’Eglise Catholique malmenée par le Da Vinci Code, c’est surtout à l’intelligence qu’il nous invite face à la vague actuelle des croyances et « fumisteries » complotistes. Si cette situation n’est pas nouvelle, les théories du complot sont une constante de la triangulation humaine, pouvoir-territoire-reproduction, le caractère nouveau en est la dimension mondiale grâce au succès littéraire et cinématographique de Dan Brown.
L’intérêt sociologique du travail de Massimo Introvigne est certain :
« Notre ouvrage a décrit une offre de théories complotistes de l’histoire ; ce sont des mystifications à dormir debout. Or, il faut une demande de biens culturels pour que leur offre devienne un phénomène culturel courant. Cela étant, pourquoi l’offre de théories complotistes semble-t-elle avoir aujourd’hui davantage de succès qu’hier ? Où est la demande ? La question paraît, à première vue, mal posée car, depuis sa première affirmation « de masse » dans l’étrange XVIIIe siècle des Lumières et des Illuminés, le « paradigme ésotérique » n’a pas cessé d’avoir droit de cité en Occident, au moins dans une certaine mesure. Une fois la religion éjectée des intelligences et des cœurs, le rationalisme des Lumières ne suffi t plus, à lui seul, à convaincre ceux-là et à réchauffer ceux-ci ; nous avons vu que les Illuminés de Bavière l’apprirent à leurs dépens. La demande de sacré se heurta au déni de la critique « éclairée » du christianisme, mais trouva une échappatoire dans un irrationalisme magique, ésotérique et, à la lettre, complotiste. Reste que les tirages de Dan Brown sont sans précédent. Les acquéreurs de prose complotiste se comptaient par centaines de milliers au plus, même quand les romans de Dumas étaient au faîte de leur gloire. Cette marchandise n’avait jamais des dizaines de millions de preneurs. La diffusion de la culture de masse au XXe siècle n’est pas l’unique explication de la nouveauté d’un pareil phénomène ; d’autres éventualités sont à explorer. La majorité de nos contemporains d’Occident disent encore avoir une religion (plus de 80 % dans l’Union européenne, plus de 90 % aux États-Unis) ; d’autre part, l’athéisme et l’agnosticisme régressent depuis la chute des idéologies qui fondaient leurs justifications théoriques (Starck et Introvigne, 2003). Mais la plupart de ces gens n’ont aucune relation suivie avec une quelconque religion ancienne ou nouvelle, ou une de leurs Églises ou institutions. 40 % des Américains et 20 % des citoyens de l’Union européenne fréquentent un lieu de culte au moins une fois par mois (Davie, 2002, 6, 28). Le christianisme n’est plus religion majoritaire en Occident, où domine un phénomène que la sociologue Grace Davie a spirituellement caractérisé de « croyance sans appartenance», believing without belonging. »
Voici donc un ouvrage à lire, d’autant que, comme le rappelle Massimo Introvigne, le débat n’est pas clos.

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