Sarane Alexandrian est dépositaire d’une tradition d’amour, l’amour qui délie, l’amour de l’art, de l’écrit, de la pensée, celle qui tranche pour mieux éclairer, l’amour des femmes, qui élèvent et enchantent l’esprit, du mouvement, du déséquilibre salvateur, de la révolution intime.

La rencontre avec André Breton et avec le surréalisme fut déterminante. Christophe Dauphin utilise l’expression « antipère » pour qualifier Breton, le maître qui immunise contre « toute forme de conformisme ». Une reconnaissance mutuelle s’empara des deux écrivains. Ensemble, ils préparent les plus grandes provocations poétiques de l’après-guerre. Si Sarane Alexandrian s’éloigna plus tard de la forme du mouvement, ce sera pour mieux en préserver et en transmettre la puissance ignée.
L’autre entité rayonnante que rencontre Sarane fut le peintre Victor Brauner dont il est aujourd’hui le biographe et le meilleur connaisseur, Brauner et sa peinture magique, Brauner et ses formidables intuitions alchimiques. Christophe Dauphin souligne que « pour aborder cette œuvre extraordinaire, qu’il connaît comme personne, Sarane Alexandrian (…) a recours à une approche qu’il qualifie lui-même d’esthétisme ontologique, définie comme la compréhension de l’être par la peinture, soit l’analyse descriptive des tableaux et la mise à nu des motivations existentielles du peintre canarien. »
Sarane Alexandrian a saisi très tôt un principe essentiel du jeu de la conscience et de l’énergie qui veut que le feu de l’esprit libre s’affranchisse des formes, les pénètre, les vivifie, les abandonne pour en engendrer d’autres avant qu’elles ne se flétrissent. L’exaltation de l’imagination, la célébration, au sens magique du terme, de l’imaginaire, l’art du rêve, s’emparent de véhicules humains conduits par Sarane, du contre groupe H à Supérieur Inconnu, en passant par Le groupe infini pour contraindre les énigmes a libéré la connaissance qu’elles dissimulent. Dans ces aventures, il entraînera beaucoup des êtres les plus étonnants de ces dernières décennies, Jacques Hérold, Charles Duits, Yves Tanguy, Max Ernst et Dorothéa Tanning, Alberto Giacometti, et tant d’autres talents.
On sait l’amour de Sarane Alexandrian pour les femmes. On sait aussi son amour de l’amour des femmes. Une femme, une femme rare, a compté tout particulièrement dans sa vie. Elle fut sa muse, sa compagne, sa sœur, son épouse, l’égérie, Madeleine Novarina. Christophe Dauphin évoque avec élégance et retenue la folie amoureuse qui unit Sarane Alexandrian et Madeleine Novarina jusqu’à la mort prématurée de celle-ci, puis par delà cette distance tragique. Il évoque aussi l’artiste qu’elle fut : « Madeleine Novarina a été authentiquement peintre, poète (car elle écrivait aussi des poèmes), artiste, et son art allait de pair avec l’affirmation de sa personnalité sans concession. Nous ne pouvons qu’admirer et aimer cette femme, cette artiste, du plus sincère et du plus profond de nos rêves. »
Pour Sarane Alexandrian, nous sommes, avec l’art et les avant-gardes dans un procès initiatique :
« D’abord on entre dans un groupe fermé, où l’on fortifie sa personnalité à travers des exigences collectives ; de là, on passe dans un groupe infini, système de relations libres permettant l’épuration ou l’enrichissement des précédentes exigences ; enfin on devient une individualité éclairante, apportant sa lumière personnelle sur toutes choses. »
En 1966, avec la disparition d’André Breton, nombreux sont ceux qui annoncent la fin du surréalisme. En réaction contre cette sentence prématurée, Sarane Alexandrian affirme « admettre que le surréalisme est terminé comme organisation initiatique ne suppose nullement qu’il n’est plus actif. Il continue à fasciner beaucoup d’esprits dans le monde entier ». Les décennies qui suivirent, il fit brillamment la démonstration que l’initiation au surréel est toujours aussi intensivement nécessaire et présente.
Nombre des dimensions de l’être étudiées, explorées par Sarane Alexandrian et déjà approchées, investies par le surréalisme intéresse directement l’initiation, depuis l’occulte jusqu’à l’érotisme en passant par le rêve.
Le rêve, justement, constitue l’un des axes de la recherche surréaliste dont s’empara Sarane Alexandrian pour le porter plus loin que ne l’avait envisagé le groupe. Pour Christophe Dauphin, « l’apport théorique le plus important de Sarane Alexandrian au surréalisme, demeure donc son essai Le surréalisme et le rêve » paru en 1974. Cette affirmation est discutable tant d’autre dimensions de l’œuvre alexandriane semblent pour le moins aussi essentielles. Toutefois, il est certain que les études de Sarane Alexandrian sur le rêve ont donné une plus vaste portée aux nombreuses expériences oniriques surréalistes. Ses connaissances en psychologie et psychanalyse mais aussi en hermétisme lui permettent de mettre l’accent sur un point majeur des philosophies de l’éveil : L’état de veille courante et l’état de rêve sont de même nature, il y a continuité entre les deux états. Il suggère de s’installer « au cœur du royaume d’Hypnos, en créant des images concrétisant l’énergie inconsciente qui produit les rêves ».
Les surréalistes ne sont pas que des navigateurs des songes, ils se confrontent, souvent avec violence, avec le monde, la société, l’autre, les autres. Ils n’échappent pas toujours à la tentation politique. Sarane Alexandrian sait, d’instinct peut-être, la nécessité de rester à distance, sans illusions mais non sans engagement. Sarane Alexandrian veut « déjouer l’invivable » par l’éthique et l’inconditionnalité, deux qualités initiatiques s’il en est. L’individu, le rebelle, le poète ont en commun l’exaltation de la liberté et le rejet de toute forme de soumission, de tout compromis.
Sarane Alexandrian se tourne vers le socialisme romantique, l’arrache aux idées reçues, le rétablit dans sa fonction vivifiante, démontre comment les visionnaires du socialisme romantique, de Saint-Simon à Charles Fourier, ont, par leur pensée libertaire, nourrit les rares moments de créativité politique des deux derniers siècles. Sarane Alexandrian rappelle qu’il existe un socialisme et un communisme avant la réduction marxiste, ce que d’aucuns ont oublié. Il évoque des noms négligés, Pierre Leroux, Gracchus Babeuf, Etienne Cabet... fait le lien entre socialisme romantique et sociétés secrètes, parle d’une éthique révolutionnaire... Sarane Alexandrian n’aura d’ailleurs de cesse de développer l’un des combats majeurs du socialisme romantique, l’émancipation des femmes.
Enfin, Sarane Alexandrian est un gnostique. Il approche toutes les disciplines d’Hermès, étudie les différentes écoles, rédige son Histoire de la philosophie occulte, et se passionne pour la magie sexuelle qui regroupe pour lui tout le champ de l’érotisme sacré depuis la masturbation sacrée d’Aleister Crowley jusqu’au alchimies internes taoïstes.
Si l’oeuvre est multiple, elle frappe par sa cohérence. Charpentée autour de l’unique colonne de la quête absolue de liberté, elle ne veut laisser de côté aucun aspect de l’humanité, elle veut anoblir toutes les activités humaines.
Sarane Alexandrian, aristocrate de la transgression, ne se départit jamais de cette élégance particulière qui habite ceux qui sont, une nuit, perçu la caresse de l’aile d’or d’Elias Artista.

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