Jean-Pierre Laurant, chargé de conférence à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, nous propose d’entrer dans la pensée et dans l’œuvre de René Guénon, d’en cerner l’enjeu, d’en mesurer toute l’influence, d’en saisir les subtilités, d’en comprendre les méandres.

Il est souvent difficile de parler de Guénon, entre un guénonisme parfois sectaire et un rejet viscéral. Ce livre permet au lecteur de se retrouver dans une œuvre qui reste exemplaire malgré certaines erreurs ou certaines impasses qui s’expliquent d’ailleurs par le contexte.
René Guénon, pour beaucoup, c’est d’abord celui qui a plaidé pour un retour à la Tradition originelle avec tout ce que cela comporte d’exclusif. C’est aussi un métaphysicien.
L’œuvre de René Guénon s’inscrit pleinement dans la tourmente du XXème siècle auquel elle propose une alternative à la modernité ancrée dans un double mouvement : critique radicale de la pensée occidentale et développement du principe d’une Tradition originelle et universelle. Cela le conduisit très tôt, par exemple, à dénoncer Freud et sa psychanalyse, comme à traquer cette Tradition dans des civilisations éloignées, hindouisme, soufisme, bouddhisme… René Guénon vit dans la Franc-maçonnerie et dans l’Eglise Catholique, malgré leurs dégénérescences respectives, les vecteurs possibles d’un rétablissement de la Tradition en Occident, sous réserve d’un recours à l’Orient. Cette approche, originale et en quelque sorte révolutionnaire, demeure très actuelle. Bien des cherchants passent encore par l’Orient, soit pour redonner sens à une forme traditionnelle occidentale desséchée, soit pour retrouver des pratiques traditionnelles qui font défaut à l’Occident.
Jean-Pierre Laurant étudie le influences familiales, par adhésion ou rejet, « les détours du labyrinthe occultiste », les engagements afin d’aider le lecteur à suivre le parcours d’une pensée édifiante qui n’a de cesse de saisir ce qui demeure par delà les formes. On retrouve là le Guénon métaphysicien, le meilleur de Guénon peut-être.
Jean-Pierre Laurant consacre tout un chapitre aux difficultés rencontrées par René Guénon, aux attaques, multiples, qui le conduisirent à se poser en Islam, choix qui porte en lui-même une ambiguïté, non en raison du choix lui-même, l’Islam, tout aussi respectable qu’une autre forme traditionnelle, mais dans le fait de se « poser » justement, de s’installer. Pour celui qui est passé à travers les formes, quelle signification peut avoir, pour lui-même, pour ceux qui le suivent, pour ses adversaires enfin, le fait, au demeurant compréhensible, de prendre forme ? Jean-Pierre Laurant décrit les conséquences de ce choix, les adhésions et les ruptures, les échanges, les rencontres et les incompréhensions, qui constituent une riche matière pour penser le monde traditionnel et la difficulté d’une démarche qui se voulait inconditionnelle. Autant d’interrogations qui minent encore les héritiers, réels ou de désir.
« L’œuvre, conclut Jean-Pierre Laurant, prend sens pour nous à la façon dont « le symbole donne à penser ». Un don qui porte sur l’aptitude à transmettre comme premier objet de la transmission. En l’absence de cette articulation il n’y a pas de « retournement intérieur » possible. De quelle transmission s’agit-il ? Elle ne porte pas, à notre sens, sur une théorie abstraite de l’initiation, bâtie par l’auteur dans les conditions aléatoires que bien d’autres avaient analysées avant nous, mais sur une attitude d’esprit façonnée et nourrie dans la ligne de la tradition multimillénaire méditerranéenne des « gens du livre ». Cette tradition s’est construite dans une longue succession de ruptures dont la vie et l’œuvre de Guénon sont aussi l’écho. Un tel constat renvoie aux distinctions établies précédemment entre le raisonnement discursif et l’intuition spirituelle, c’est-à-dire que l’aptitude à transmettre doit à la fois être conçue comme distincte et inséparable du contenu de cette transmission. Se pose alors la question, pour le lecteur, du discernement de l’ombre et de la proie, du moment où par facilité, la démarche symbolique d’approche se mue chez un trop grand nombre d’entre eux, fascinés par la « magie » du raisonnement guénonien, en identification. L’énoncé « en vérité » est alors perçu comme « la Vérité » et le « regard ésotérique » en corpus. Son nouveau détenteur ignore que le précieux viatique mal administré peut devenir poison : Que Dieu ait au moins son âme. »
Ces dernières phrases, importantes, qui peuvent s’appliquer à toute expression traditionnelle, non seulement à l’œuvre guénonienne, concluent un essai qui est désormais, sans doute pour longtemps, une référence pour qui veut étudier Guénon, sans s’égarer.

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