Très beau livre d’Eric Baret, à la fois par la présentation et par le contenu sur le shivaïsme non duel du Cachemire.
Dans cet ouvrage, également hommage à son instructeur, Jean Klein, Eric Baret trouve un parfait équilibre entre l’enseignement apparent de la « forme » et la transmission du pressentiment absolu de liberté qui caractérise si bien le shivaïsme cachemirien.

Exposés en contre-jour, entretiens et précis technique constituent les trois phases du livre qui ne se veut surtout pas un manuel de yoga mais une invitation à la libre exploration de l’expérience. Ici, le yoga est justement sans forme. Il se fait art plutôt que science, poésie plutôt que discours, incertitude joyeuse plutôt que vérité, liberté plutôt que contrainte, illimité plutôt que règle…
« C’est un yoga sans forme, nous dit Eric Baret, adapté à la situation de l’instant. Pour chaque amoureux de cet art, l’expérience est différente. Le pressentiment du silence est sa raison d’être. Cette résonance devient multiforme. L’approfondissement de cette disponibilité est non codifiable. (…) Le yoga est un art traditionnel qui n’apporte rien. S’il amenait quelque chose, ce serait du commerce et non pas de l’art. L’art est gratuit, comme la danse, la musique ou la peinture. Il est la joie d’exprimer l’émotion fondamentale. C’est une offrande qui vient du cœur, de la joie d’être, aucun profit n’est disponible. »
Le shivaïsme est voie de l’être et du non-être, hors faire, hors avoir, abandon de toutes les prétentions de la personne, abandon sans rejet, abandon par totale acceptation. Voie renversante, le shivaïsme, d’ailleurs aux couleurs multiples, ne laisse aucune place aux approches illusoires :
« Lorsqu’on ne se défend plus de la situation, il n’y a pas de séparation et on en sent toutes les vibrations. Quand vous pensez à une personne, il ne reste plus que la vibration, il n’y a plus d’image ; un rythme est là. Quel que soit le lieu où elle se trouve, la personne est toujours présente ici, jamais là-bas. Vous pouvez toucher son ventre, ses reins, ses hanches, son dos. Vous n’avez pas besoin de voyager pour cela. Où que vous soyez, son corps est entre vos mains. Plus tard, même cette localisation se libérera et votre ami sera senti dans tout votre corps. Plus tard encore, vous le ressentirez dans le corps, le véritable cœur. Cela se situe sur le plan du corps énergétique. L’éveil de ce corps pointe directement vers sa résolution dans la conscience.
Les rituels profonds sont d’abord accomplis sur le plan du corps énergétique.
Dans les voies progressives, on commence souvent par un rituel grossier, ensuite les choses s’affinent. Dans la voie directe, c’est le contraire : on accomplit d’abord l’acte au niveau énergétique, celui du ressenti ; le corps physique suit. C’est pourquoi les absurdes caricatures de tantrisme élaborées en Occident n’ont aucun sens : on y part du corps pour tenter de trouver, ensuite, l’énergie subtile.
Dans les rituels tantriques, le contact a d’abord lieu sur le plan énergétique… »
La matière du « travail » est ici le ressenti auquel nous ne prêtons jamais assez attention et écoute :
La vie n’est que ressenti, cœur des choses. L’erreur est de penser ressentir. Quand on dit : « je ressens », on est dans une image. Dans le ressenti, il n’y a rien de ressenti et personne qui ressent : il y a la vie. C’est pourquoi de nombreuses traditions ont développé des arts de retour à la perception dans lesquels la pensée est peu présente. (…)
Il n’y a rien à penser dans la vie. La découverte de l’art se fait par le cœur, par la joie, non pour apprendre. En sortant d’ici, vous pouvez vous faire écraser. Vous n’avez pas le temps de maîtriser quoi que ce soit. Vous n’étudiez pas pour apprendre un peu aujourd’hui et davantage demain. Rendez vous compte qu’il n’y a pas de demain. Quand vous apprenez, vous êtes totalement là. La vie, c’est apprendre par le cœur, non par stratégie. Ainsi la créativité est sans fin. Si on apprend avec l’espoir d’atteindre un but, on sera toujours déçu. La vie est sans but. L’action se justifie par elle-même. L’amour d’un art est sa justification. »
Célébration de la joie essentielle, le shivaïsme cachemirien, présent d’ailleurs sous d’autres perspectives sur cette planète, est un jaillissement spontané, un émerveillement, une plongée dans la beauté sans limite.
Les lecteurs avertis, ou tout simplement disponibles à « cela », trouveront dans ce livre nombre d’indices des voies directes, tant dans la présentation des pratiques que dans la riche iconographie proposée.

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