69 auteurs se sont regroupés pour écrire quelques 95 articles et ainsi réaliser une étude anthropologique sans précédent sur le rapport des hommes à la mort à travers les siècles et les civilisations.

-Dans l’ouverture de cette étude monumentale, les auteurs partent du constat effectué dans les années 70, de déni individuel et collectif de la mort dans les sociétés modernes. L’homme moderne croit toujours qu’il ne va pas mourir, il espère que la science va, un jour, lui donner ce que les religions avaient promis. En perdant sa dimension eschatologique, la mort a cessé de nous enseigner mais les comportements de l’homme moderne (pratique des funérailles religieuses, accompagnement des mourants….) ne peuvent lui permettre d’affirmer que la mort ne le concerne plus.
La conscience de sa mort et de celle de ses proches est le propre de l’homme et ce quelque soit les époques et les civilisations. Partant de là, les auteurs se sont attachés à mettre en évidence les croyances et comportements que l’homme a développés sur la mort au cours des diverses étapes de l’aventure humaine : de l’invention de l’au-delà par l’homme en quête d’immortalité au passage, dans les sociétés modernes, de l’espérance religieuse à l’espérance scientifique.
L’homme moderne partage avec l’homme traditionnel une même appréhension devant la mort. C’est un même dénuement, une même incompréhension essentielle. Mais si l’un conçoit sa mort comme un passage qui ouvre sur une autre dimension du temps et fonde l’évidence d’un prolongement de soi, l’autre hésite à se projeter dans un au-delà que ses doutes et son scepticisme ne légitiment plus.
La perpétuation de l’espèce au détriment de l’individu ne va pas sans une révolte nécessaire. L’idée de la finitude demeure scandaleuse et donc impossible aussi bien pour l’homme traditionnel que pour l’homme moderne. Dans une société traditionnelle, si la mort est victorieuse, au moins manquera-t-elle sa véritable cible promise à d’autres aventures : le double, l’âme, l’esprit. C’est donc l’impossibilité pour l’homme de s’accommoder de son destin terrestre limité et de son inaptitude à conquérir une condition divine (ressentie pourtant comme sa vocation) qui a dû rendre légitime l’idée de l’âme. Pour Edgar Morin, il n’y a que deux grandes familles de mythes fondateurs de l’immortalité : les mythes mort-renaissance (transmigration, résurrection) et ceux du double (ombres des Enfers, ancêtres des religions africaines). Ces structures seraient à mettre en relation avec les deux façons dont la vie survit et renaît : la duplication et la fécondation.
Le processus de sécularisation à l’œuvre dans nos sociétés et l’essor conquérant des sciences de la vie ont rendu irrecevable, pour nombre de nos contemporains, une explication religieuse du monde. Cette conception de l’âme séparée du corps et promise à l’immortalité n’est plus pertinente pour une majorité d’occidentaux. L’homme moderne invente de nouvelles représentations de l’au-delà qui ne sont que des emprunts aux grands systèmes eschatologiques dont il n’a qu’une très vague idée (NDE, réincarnation orientale occidentalisée, accueil bienveillant des messagers de l’au-delà – anges, spiritisme, channeling… -).
Par delà cet imaginaire souvent pauvre, le pressentiment que la mort ne saurait être une fin en soi demeure. Actuellement, nous sommes peut-être les témoins de l’émergence d’une nouvelle espérance non plus religieuse mais scientifique, médicale. A la promesse d’une immortalité de l’âme dont le statut nous apparaît désormais improbable, se substitue progressivement, celle d’une amortalité du corps. Avec les progrès de la biologie, la mort ne se situe pas à la frontière du vivant mais au cœur du vivant, elle travaille sans cesse à le remodeler. La science du vivant va peut-être donner lieu à une véritable « fétichisation de l’ADN » en passe de s’attribuer l’ancienne aura de l’âme. Le dualisme des temps modernes se situe désormais moins entre le corps et l’âme qu’entre l’individu et ce dans quoi – le véhicule - il doit poursuivre, coûte que coûte, son voyage dans le pur présent.
A côté de cette réflexion sur la place et le sens de la mort dans les sociétés modernes (euthanasie, extrême-onction médicale, inscription des défunts dans la mémoire collective…) de nombreux textes nous font également voyager dans la multiplicité des mondes traditionnels (ceux des guerriers indiens d’Amérique du Nord, ceux des rites funéraires dans la préhistoire ou ceux des rituels d’immortalité chez Homère…).
Cette encyclopédie sur la mort s’articule autour de deux grandes parties, l’une dévolue aux sociétés traditionnelles et l’autre à nos sociétés post-modernes selon une logique chronologique qui rend compte de cette rupture entre la question de l’immortalité religieuse et l’amortalité scientifique, du statut universellement accepté de l’âme à cette sacralisation contemporaine du corps et de ses prothèses. Chacune des deux parties construite en miroir est divisée en cinq chapitres (Vivre en mortel / la mort neutralisée - La mort et le devenir du corps - Jugements et états intermédiaires - Le terme du voyage / Nouvelles promesses d’immortalité - Les vivants et les morts) qui permettent de mettre en évidence les différences les plus singulières entre les cultures traditionnelles et notre modernité, mais aussi un certain nombre d’invariants anthropologiques majeurs exprimés à travers un imaginaire de l’au-delà dont le foisonnement inextricable ne saurait empêcher de deviner certaines lignes directrices.
Il n’est bien évidemment pas possible de résumer cette somme inédite sur la mort et l’immortalité. Chacun y trouvera matière à réflexion. Le mérite le plus évident d’un tel ouvrage est de réaliser la nature et la fonction du lien entre mort et immortalité dans le processus civilisateur et la genèse des cultures dans leur diversité essentielle. Ensuite, le regard incisif sur le rapport de l’homme moderne à la mort et au corps ne laisse pas de nous interroger sur l’attitude des sociétés postmodernes qui peuvent de moins en moins continuer à nier la mort et qui recherchent à par tâtonnement une relation nouvelle avec cet impensable : cela se joue entre déni, acceptation forcée, surinvestissement du corps, repli sur des lambeaux de systèmes traditionnels souvent forts méconnus, recherche d’une refondation des rituels de la mort et du mourir pour notre temps…
En questionnant la nature du lien que nous entretenons plus ou moins consciemment avec la mort et le mourir, cet ouvrage interroge chacun d’entre nous, individuellement et collectivement sur le sens de la mort et donc de la vie, cela l’ouvrage le montre clairement. Par contre celui-ci reste au niveau anthropologique, de ce fait il ne se pose pas, au-delà des variables culturelles, historiques, religieuses, la question de la valeur expérimentale, ni de la valeur opérationnelle et eschatologique des comportements liés à la mort dans le cadre de toute cette quête entreprise par l’humanité depuis sa genèse. Certes, et pour partie à juste titre, on peut penser que cela n’est pas la fonction d’un livre d’anthropologie, mais il faut aussi se rendre à l’évidence que celui qui cherche à percer le mystère de sa propre vie et de sa mort doit pousser plus loin l’investigation. A ce niveau, cette encyclopédie peut être alors une simple porte vers des approfondissements que seule la méditation et la praxis initiatique peuvent actualiser.
Quelques pistes pour ceux qui voudraient pousser plus avant :
En premier, la méditation sur le mourir et la mort interroge ou devrait interroger le cherchant qui emprunte le chemin de la quête et de l’initiation sur ses croyances : Quelles sont mes croyances personnelles ? A quel(s) système(s) de représentations (religieuses, philosophiques, initiatiques) est-ce que j’adhère ? Qu’est-ce je pense des autres systèmes de croyance, n’est-ce, comme a tendance à le dire (trop) facilement l’approche anthropologique, qu’une vision parmi d’autres, des visions où il n’est en fait question que de croyances toutes aussi vides de sens, de conscience, les unes que les autres ? Ne sont-ce que des représentations fantasmatiques où la seule valeur serait celle de l’imaginaire humain toujours hanté par l’approche de ses derniers instants ?
En second, le cherchant qui aborde de plus près les pratiques liées à la mort et au mourir, est amené un jour ou l’autre, au-delà de son système de croyance, quel qu’il soit, à se demander si ces croyances ne cachent pas des orients, des opérationnalités diverses qui ne sont peut-être pas toujours aussi éloignés que l’analyse intellectuelle ne le fait supposer ? Les textes reflétant les croyances et comportements prennent alors une toute autre dimension, celle d’un savoir opératif aux multiples ramifications.
En trois, au-delà des observations et analyses anthropologiques, au-delà des techniques et états particuliers développés par l’art du mourir et du « sur-vivre », la quête interroge la signification eschatologique de la mort, donc de la vie, et donc de la nature et de l’essence de l’Etre. Ce niveau ontologique n’a de sens, c’est-à-dire d’efficience, de réalité de conscience et d’énergie que dans le cadre d’une expérimentation effective des états dits post-mortem qui ne sont pour l’adepte que des états subtils de vie et de conscience pouvant être connus dans cette vie ici-bas.
Enfin, au-delà même des orients ontologiques, la question de la mort, comme les autres essences du Réel (la sexualité, le silence) interroge et « mobilise » le Réel. Quand toutes les dimensions intellectuelles, psychiques, subtiles, mystiques ont été interrogées, expérimentées, que reste-t-il ? Que reste-t-il quand la question de la survie du corps et celle de la perpétuation ou de la dissolution de l’âme ont été traversées ? Que reste-t-il quand la mort a mis fin à toutes ces constructions si humaines ? La magie du Réel, la théurgie du Réel, l’alchimie du Réel. Lorsque l’ego est dissous, l’Etre libre émerge. En toute chose Cela naît, demeure et meurt. Simplement, le Mystère à jamais indicible mais si présent du Réel. Ici commence réellement la Voie.
Cela semble loin et inaccessible ? Pas tant que cela paraît. L’approche anthropologique elle-même, effleure cette dimension lorsqu’elle pose la question essentielle et centrale de l’impensable ou du rapport de l’esprit et du corps. Qui intègre expérimentalement, ontologiquement, la véritable nature du corps et de l’esprit ou le caractère non né de l’Etre est déjà libre, et ce quels que soient les détours (croyances, techniques énergétiques…) qu’il emprunte. L’accès à l’Absoluité et à l’Etreté est sans accès, le Réel est présence/absence, plénitude du Rien et/ou vacuité du Tout. Il est en toute chose. « Rien de ce qui est fait n’est fait sans Lui »…

L’approche anthropologique mise en place dans cette encyclopédie ne va pas si loin et comme toujours le risque est de se perdre dans les méandres de l’intellect, du temps et de l’espace, dans la forme, au lieu de s’attacher à l’essence. Mais celui qui a des yeux (une sensibilité) pour voir (pour vivre) ne se laissera pas séduire par l’apparente multiplicité des choses du monde.
Chaque effort de l’humain pour intégrer vitalement et ontologiquement le mystère des mystères, loin de l’éloigner de son centre, le rapproche de l’Axe qui est et demeure dans le cœur incréé de sa propre réalité.
Là où est le Réel, l’Etre traverse la vie et la mort.

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