Carlos Castaneda, comme tous ceux qui marchent sur les voies du Réel, est insaisissable. Castaneda. La vérité du mensonge, publié aux Editions du Rocher, n’en est pas moins une biographie réussie du disciple, à la fois créature et créateur, de Don Juan.

Poésie et révolution forment un couple tumultueux et créateur. Nul ne peut dire qui entraîne l’autre. Ce n’est sans doute pas un hasard si le premier numéro de la nouvelle série de Supérieur Inconnu a consacré un article à José Rizal dans sa partie Révolution, sous la plume de Tristan Ranx. En effet, la poésie est sans doute par essence révolutionnaire tandis que les révolutions, si elles sont surtout tragiques, ne sont jamais sans poésie. Si le sang appelle le sang, il appelle aussi la plume.
José Rizal (1861-1896), aujourd’hui trop méconnu, fut pourtant étiqueté comme « écrivain célèbre » dans les années 60 chez Mazenod. Il est surtout apprécié pour ses deux romans. Le premier Noli me tangere fut publié en 1887. Il raconte la terrifiante domination espagnole sur le peuple philippin, les persécutions, les souffrances sans fin d’un peuple opprimé. Le second roman, El Filibusterismo, publié quatre ans plus tard, dénonce l’action destructrice des autorités religieuses et des ordres monastiques complices de l’armée espagnole.
José Rizal fut lui-même une cible privilégiée des autorités espagnoles comme des confréries religieuses. Contraint à l’exil, en danger dans son pays, il s’installa en Europe à plusieurs reprises. Gand voyageur, il rencontra nombre de penseurs, auteurs, poètes à qui il fit part de la situation des Philippines. Il chercha des appuis dans tous les milieux et n’eut de cesse que de combattre l’injustice qui s’était abattue sur le peuple philippin. Sa rencontre avec le professeur Blumentritt fut déterminante tant cet homme, devenu son ami sut être un soutien permanent à la cause philippine.
En 1892, José Rizal décida de rentrer aux Philippines, conscient du danger qu’il courait mais certain de la justesse de ce geste. Dans une lettre adressée à ses parents, il s’explique en ces termes : « Je pars heureux m’exposer au danger, non comme une expiation de mes fautes (jusqu’ici, je ne crois pas en avoir commis), mais pour couronner mon œuvre et témoigner par l’exemple ce que j’ai toujours prêché. »
Dans cette lettre, comme dans une autre lettre adressée aux Philippins, destinées toutes les deux à une publication postmortem, José Rizal, influencé par L’imitation du Christ, laisse clairement entendre qu’il envisage sa propre mort comme un possible sacrifice destiné à entraîner un relâchement de l’étau espagnol sur son peuple. Il y a dans ce retour une dimension sacrificielle d’où tout espoir n’est pas absent :
« Je m’expose avec plaisir afin de sauver tant d’innocents, tant de neveux, tant d’enfants, d’amis qui souffrent pour moi. Qui suis-je ? Un homme seul, presque sans famille, assez déçu de la vie. J’ai eu beaucoup de déceptions, l’avenir devant moi est obscur, et le sera plus encore si la lumière ne l’illumine, l’aurore de ma patrie. » écrit-il à ses parents. Nous retrouvons presque les mêmes mots adressés cette fois à ses compatriotes : « je ne peux pas vivre en voyant mes frères et leurs nombreuses familles poursuivis comme des criminels ; je préfère affronter la mort, et je suis heureux de donner ma vie afin de libérer tant d’innocents, de tant d’injustes persécutions. »
José Rizal sera fusillé en 1896 par les Espagnols. Il y avait chez cet homme une mystique de la liberté. Il prôna bien moins une révolution politique orchestrée par une minorité agissante que l’émancipation du peuple par lui-même, ce qui lui valut l’incompréhension des révolutionnaires qui voulurent faire de lui, contre son gré, la figure emblématique de leur mouvement. José Rizal voulait attendre que le peuple soit prêt. Il était sans doute fortement conscient que la révolution est d’abord intérieure, que l’inconditionnalité d’un esprit libre finit toujours par être reconnue et par embrasée la vie.
José Rizal ne concevait pas ses deux romans comme des événements littéraires majeurs. Pour lui, la littérature, plus généralement l’art, devait s’éloigner de toute dimension politique. Il est donc paradoxal qu’il soit devenu ce que nous appellerions aujourd’hui un écrivain engagé. Toutefois, Noli me tangere et El Filibusterismo sont considérés aujourd’hui comme deux chefs d’œuvres de littérature « populaire », d’une littérature tout entière au service d’un peuple et de sa libération.
Est-il dès lors si étonnant qu’il existe aujourd’hui un Ordre des Chevaliers de Rizal ? Cet ordre qui se consacre à la divulgation de l’œuvre de José Rizal associe les valeurs de la chevalerie à celles que défendait l’écrivain.
Les textes de José Rizal ne concernent pas la seule question philippine, d’ailleurs toujours posée ( les Philippins sont seulement passés d’un oppresseur à un autre et d’une modalité d’oppression à une autre) mais la nécessité universelle de liberté. Que celle-ci soit appréhendée comme individuelle ou au contraire collective importe peu tant les individus comme les peuples sont aujourd’hui sous le joug d’oppressions à la fois anciennes et nouvelles.

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