En 1985, Eric Julien, géographe, alpiniste, lance une expédition dans les montagnes de Colombie. Il tombe gravement malade, victime d'un oedème pulmonaire. Soigné par les indiens Kogis, il est sauvé grâce aux connaissances des plantes et de la nature de cette peuplade dont il ignore tout. Il découvre alors, peu à peu, que ces indiens, derniers héritiers des grandes cultures précolombiennes du continent sud-américain, dans une Colombie déchirée par la guérilla et la le trafic de drogue, sont dépositaires d'une sagesse, d'une philosophie, d'une science enfin de la nature.

Dix ans plus tard il rejoint les Kogis dans les contrées montagnardes les plus inaccessibles pour les aider à retrouver leurs terres confisquées par une civilisation malade. Il crée en 1997 l'association Tchenduka qui rachète depuis la France les terres ancestrales des Kogis pour leur restituer.
Dans ce livre, préfacé par Pierre Richard qui prend fait et cause pour les Kogis, Eric Julien nous fait découvrir à travers l'expérience vécue au quotidien avec ce peuple, cette culture de la beauté et de la nature, cette société qu'il qualifie d' " écosystémique ". Il cherche également à éclairer ce que ce peuple peut nous apprendre, pour peu que nous sachions écouter et entendre :
"Au-delà de son intérêt, de sa richesse en valeur absolue, la société Kogi nous intéresse parce qu'elle existe ici et maintenant, parce qu'elle est porteuse de réponses originales aux grandes problématiques de nos sociétés occidentales, y compris quant à la manière de poser ces problématiques. C'est dans les marges, dans le hors norme, dans ce qui l'interroge et le dérange qu'un système, ou qu'une organisation, peut trouver les moyens d'évoluer, de se transformer et de survivre. "
Eric Julien énonce six axes de réflexion :
"1- Chaque individu doit être reconnu comme faisant partie d'un tout. Le système a besoin de l'ensemble de ses composantes, même celles qui ne seraient pas forcément dans la norme. Comme le rappelle Carlos Lenkersdorf : " Dans les sociétés cosmiques et intersubjectives, il y a toujours une pluralité de sujets dont la participation est requise pour que les événements se réalisent. Dans les sociétés à relations sujet-objet, en revanche, les sujets s'affirment en transformant les objets dans lesquels ils voient refléter leur capacité réalisatrice et transformatrice. "
Cette reconnaissance et le respect associé sont fondateurs de l'identité de chaque membre de la communauté. Chaque partie du système me reconnaît comme étant une partie nécessaire pour le fonctionnement du tout.
2- La notion de faute, présente dans les sociétés occidentales, est totalement inexistante. Il s'agit plus de déséquilibres physiques, psychologiques, sociaux qui, une fois rétablis ne sont pas portés comme des sentences tout au long d'une vie.
3- Le monde est compris comme un tout vivant et fragile dont les composantes sont en permanente interaction, ce qui oblige chacun à se sentir responsable de l'ensemble.[Ú]
4- Les problèmes, les difficultés doivent être formulés pour éviter les non-dits qui nuisent à l'harmonie des êtres et des lieux. [Ú]
5- L'interrelation, l'interdépendance lient les connaissances conceptuelles et expérimentales, cúur, conscience et esprit, hommes, nature et objets. [Ú]
6- Leur système de compréhension du monde est un système fragile qui se doit d'être préservé et entretenu. [Ú] De fait, leur système est en permanente évolution, et ce, afin de maintenir un équilibre subtil entre les forces internes et externes qui interagissent sur leur société, où le changement, la confrontation des contraires et des subjectivités sont vécus comme des composantes essentielles de la vie."
Ce morceau de vie, est aussi un morceau de notre vie. Eric Julien, à travers la philosophie Kogi, à cet art de vivre, nous invite, pour réhumaniser le monde, à relever le défi de nous-mêmes, le défi de notre propre dignité contre nos tendances mortifères. Un très beau livre.

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